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ANALYSES.lesliréville. Religions des peuples non civilisés.

facilement atteindre dans les conditions actuelles. Nous n’avons pas ici l’intention de juger la doctrine de M. Leslie Stephen, et notre opinion particulière importe peu. Mais il convient lui-même que cette doctrine est imparfaite. Ne serait-ce pas à cause de la méthode même qu’il emploie ? L’homme est-il un simple objet d’histoire naturelle ? N’a-t-il pas du moins des idées qui, par le fait même de leur présence en nous maintenant, autorisent certaines conclusions, donnent certains droits et permettent de franchir, en toute assurance, les limites du monde où se renferment trop bénévolement les partisans exclusifs de l’expérience ? Parmi ces idées, celle de l’obligation morale est au premier rang. Peu importe ou le temps qu’il a fallu pour que l’homme en prit une claire conscience, ou l’histoire des circonstances qui ont favorisé ce progrès, ou même l’influence qu’elle exerce sur chacun de nous. Nous distinguons aujourd’hui le bien du mal assez nettement pour n’être pas satisfaits des explications empiriques qu’on nous donne de cette distinction, pour ne pas confondre, dans tous les cas, le bien avec le bien-être des sociétés. De ce bien-être, nous pouvons, de l’aveu même de M. Leslie Stephen, ne pas nous soucier, et, pour admettre que nous soyons obligés d’y contribuer, il nous faut d’autres raisons que la valeur propre de cette fin. L’étude de la morale nous conduirait ainsi, si nous ne nous trompons, à affirmer la réalité d’une fin d’une valeur absolue, tout aussi sûrement, et par un procédé tout aussi scientifique, que l’étude du système solaire conduit à affirmer la réalité d’une attraction que personne n’a jamais expérimentée. Encore pourrions-nous dire que nous sentons l’attraction ou l’action de cette fin : ce qui revient à reconnaître simplement que l’homme conçoit et a raison de concevoir un au delà, dont les empiriques ont trop peur de s’occuper ; cette conception plus ou moins nette est ce qui distingue, en dépit de beaucoup de ressemblances, l’homme de l’animal, et il ne faut pas que la morale humaine soit traitée comme une morale de bêtes.

A. Penjon.

A. Réville. Les religions des peuples non civilisés. Paris, Fischbacher, 1883 (2 vol.  in-8o, de vii-412 et 276 p.). Le présent ouvrage est la suite des Prolégomènes de l’histoire des religions, ou plutôt la première partie d’une histoire générale des religions ; il est, en même temps, le résumé d’un cours donné au Collège de France. M. Réville a entrepris de parcourir, suivant un plan qui lui est propre, le vaste champ confié à ses soins ; il nous livre aujourd’hui les résultats de son enquête sur les religions du type le plus élémentaire.

Avant d’entrer dans l’analyse de ce livre, dont la forme et le fond sont également dignes d’éloge, nous ne pouvons nous défendre d’un sentiment de vive satisfaction. Enfin les matières de l’étude la plus