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Elle est plus ou moins facile ; elle a toujours le même but : découvrir des lois.

Par quelle méthode parviendrons-nous à découvrir les lois de la conduite humaine et à concilier les différentes doctrines qui divisent les moralistes ? Ils s’accordent à distinguer de bonnes et de mauvaises actions ; ils se combattent dès qu’on leur demande la raison de leurs jugements. Comment leur prouver qu’ils ne connaissent séparément qu’une partie de la vérité et les amener à faire la paix, en leur révélant toute la vérité ? Si nous avions déjà une psychologie, une sociologie véritablement scientifiques, la tâche serait facile. Mais nous en sommes bien éloignés, et, à voir l’extrême diversité des conditions internes et externes qui déterminent les différents actes, on est porté à désespérer de pouvoir jamais découvrir les lois auxquelles ces actes sont soumis en réalité.

Nous devons cependant reconnaître la possibilité d’arriver à certains résultats. Nous avons au moins une connaissance empirique de la conduite, et les inductions que nous faisons tous les jours et à chaque instant ne nous trompent guère. Comment vivre sans la confiance que nous leur accordons ? Nous sortons sans armes, dans les villes des p ays civilisés, aussi assurés de n’être pas attaqués que de ne pas être écrasés par la chute d’une maison. Nous avons tous, plus ou moins, cette connaissance du cœur humain qui constitue, lorsqu’elle atteint un haut degré, le génie dramatique. Mais cette connaissance, même à ce degré éminent, n’a jamais une valeur scientifique, c’est-à-dire qu’elle ne permet pas de prévoir avec une certitude mathématique les résolutions d’un homme dans des circonstances déterminées ; elle ne vaut que d’une manière générale et en moyenne. L’observation la plus attentive des individus qui nous entourent semble donc insuffisante à nous fournir la solution que nous cherchons.

Mais il est une idée, vieille sans doute comme le monde, à laquelle cependant on a réfléchi de nos jours avec plus d’attention, et qui doit nous servir dans l’étude du problème moral. C’est que la société n’est pas un pur agrégat, mais un organisme qui se développe ; les lois de ce développement peuvent être connues indépendamment des lois qui président au développement individuel. Ce n’est pas que ces deux développements ne soient pas subordonnés l’un à l’autre ; ainsi le tout varie nécessairement suivant la nature des éléments qui le constituent. Mais, d’un autre côté, les propriétés de chaque partie sont, dans certains cas, si exactement soumises à l’influence du tout, que l’étude exclusive de ces parties devait être fatalement stérile. Les anciens moralistes, qui se bornaient à cette étude, restaient privés de certains principes essentiels dont l’observation de la société tout entière peut seule nous assurer la connaissance. Reste à savoir, il est vrai, dans quelle mesure il nous est permis d’embrasser ainsi la société tout entière, à travers ses transformations successives, à nous qui ne sommes, que des parcelles infinitésimales de ce vaste ensemble, et dans