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nables, on éveille en lui le sentiment de l’orgueil, de la terreur, de l’humilité, de la piété, etc. Les cas où il se manifeste un reste de volonté sont particulièrement intéressants, parce que la personnalité humaine y apparaît dans une certaine mesure. Voici un exemple cité par M. Ribot dans son ouvrage sur les Maladies de la volonté : « En plaçant les mains de B… dans l’attitude de la prière, celle-ci s’impose à son esprit. Aux questions, elle répond qu’elle prie la sainte Vierge, mais qu’elle ne la voit pas. Tant que les mains demeurent dans la même position, elle continue sa prière et ne dissimule pas son mécontentement si l’on cherche à l’en distraire. En déplaçant les mains, la prière cesse aussitôt. »

Cette démonstration par l’hypnotisme nous paraît concluante et nous semble compléter la vérification que nous avions demandée à une étude de physiologie plus détaillée que celle qui avait servi de point de départ à notre théorie. On pourrait cependant désirer que des expériences précises fussent faites en vue de contrôler directement notre hypothèse sur les actions réflexes des nerfs acoustiques. Bien que de telles expériences présentent de grandes difficultés, elles ne nous paraissent pas impossibles à réaliser. On connaît en effet les belles expériences de Flourens sur les actions réflexes des nerfs optiques et des nerfs acoustiques, actions qu’il a mises en évidence par la suppression de la sensation au moyen de l’enlèvement des hémisphères cérébraux. C’est ainsi qu’un animal privé desdits hémisphères peut se mouvoir et fuir lorsqu’il se produit un bruit près de lui, « parce qu’au point d’implantation des nerfs acoustiques dans le bulbe se trouvent les origines des nerfs qui président, de près ou de loin, à ces mouvements d’ensemble, et que le mouvement impressionneur leur a été directement communiqué sans l’intermédiaire de l’intelligence[1]. » Ne serait-il pas possible, après avoir choisi un animal particulièrement sensible à la musique, de lui enlever ses hémisphères cérébraux et d’observer si les mêmes manifestations émotionnelles se produisent encore sous l’influence de la musique ? Nous ne nous dissimulons pas combien une telle expérience présenterait de difficultés, vu le peu d’intensité des phénomènes à observer ; mais il nous semble qu’il y a là de quoi tenter un habile physiologiste.

Peut-être n’avons-nous fait que répéter moins bien des choses déjà dites ; mais peut-être aussi nous objectera-t-on que nous nous écartons beaucoup trop des théories déjà formulées pour avoir chance d’être dans la vérité. Nous montrerons, pour répondre à cette objection, que, si, à notre connaissance du moins, on n’a pas

  1. Dr Edouard Fournié, Physiologie du système nerveux cérébro-spinal, p. 114.