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LECHALAS. — sur le mode d’action de la musique

A priori, on serait tenté de croire que les larmes doivent être sous la dépendance plus directe des nerfs optiques, de même que la phonation est sous la dépendance des nerfs acoustiques ; mais on concevra que cette hypothèse peut être inexacte, si l’on songe que la sensibilité ordinaire des régions oculaires est due non aux nerfs optiques, mais aux nerfs trijumeaux. En fait, si l’on en croit Darwin (De l’expression des émotions chez l’homme et les animaux), le mécanisme de l’émission des larmes ne serait pas très bien connu ; on pourrait seulement dire que cette émission est due principalement à la contraction du muscle orbiculaire et aux excitations du nerf trijumeau. Or le muscle orbiculaire est actionné par le nerf facial qui part du bulbe rachidien ; d’autre part, si le nerf acoustique est sans action sur le nerf trijumeau, qui est sensitif comme lui, il se trouve dans des conditions favorables pour provoquer sur la glande lacrymale les mêmes réflexes que le trijumeau, puisque celui-ci aboutit, comme lui, au bulbe rachidien.

On peut dire, d’après ce qui précède, que les dispositions anatomiques sont on ne peut plus favorables à une action réflexe des nerfs acoustiques sur le cœur et sur les muscles expressifs. Il nous reste à examiner s’il y a bien réellement réversibilité entre les émotions et leur expression, c’est-à-dire si, l’état physiologique qui est généralement provoqué par un état moral venant à être réalisé sous une autre influence, cet état moral se produira sous l’influence du dit état physiologique.

L’expérience courante fournit des faits qui confirment, dans une certaine mesure, cette hypothèse : c’est ainsi que chacun connaît l’influence de l’état moral sur les appareils de la digestion et l’influence réciproque des affections du système digestif sur le caractère. Mais ce sont là des faits généraux, qui laissent à désirer au point de vue de la précision ; d’autre part, les expériences sont difficiles à faire, car, si l’on modifie un seul élément de l’organisme, son action sera neutralisée par l’état différent de tous les autres éléments, et, à part l’action de la musique à laquelle on ne peut avoir recours sans faire un cercle vicieux, on ne voit pas trop comment on pourrait provoquer dans l’organisme tout un ensemble de modifications expressives d’un sentiment non éprouvé.

Toutefois cette difficulté disparaît dans les cas d’hypnotisme, car alors, l’élément spontané étant annihilé, il suffit de donner aux membres une position qui soit associée naturellement à un sentiment quelconque ou l’ait été artificiellement par des répétitions fréquentes pour que ce sentiment se produise pour ainsi dire automatiquement. On sait en effet que, en donnant à l’hypnotisé des postures conve-