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LECHALAS. — sur le mode d’action de la musique

giques plus détaillées la confirment ou obligent au contraire à l’abandonner.

Considérons une personne qui lit une histoire attendrissante : ses muscles péri-oculaires tremblotent légèrement, et ses yeux s’humectent de larmes. Analysons le phénomène ainsi constaté. Les vibrations lumineuses, réfléchies par les pages du livre, sont venues agir sur les nerfs de la vision, et ceux-ci ont transmis le résultat de cette action. Deux circonstances ont pu, à priori, se réaliser ensuite : on bien il s’est produit une action réflexe immédiate, antérieure à toute perception, qui a mis en jeu les muscles péri-oculaires et les glandes lacrymales, ou bien la sensation provoquée par l’action lumineuse a été interprétée ; de cette interprétation est née une émotion morale, qui a mis en activité de nouveaux éléments nerveux sensitifs, lesquels ont provoqué à leur tour une action réflexe sur les nerfs moteurs des muscles péri-oculaires et des glandes lacrymales. Dans l’espèce, il n’est pas difficile de faire un choix entre les deux hypothèses : l’action nerveuse résultant de la contemplation de petits traits noirs sur un fond blanc, du moment que la lumière n’est pas assez vive pour blesser les organes visuels, n’est pas de nature à provoquer par elle-même les faits constatés, et du reste ces faits ne se produiraient pas si la personne ne savait pas lire ou si elle ignorait la langue employée dans l’ouvrage. Il est donc certain que l’excitation des nerfs de la vue n’a produit qu’indirectement les faits observés, lesquels sont dus à une action provoquée par une excitation psychique, qui résulte elle-même de la signification attachée conventionnellement à l’excitation des nerfs de la vue.

Au lieu d’une personne qui lit, considérons maintenant une personne qui écoute une œuvre musicale : les faits observés sont tout-à-fait analogues, et, en remplaçant les nerfs de la vue par ceux de l’ouïe, nous nous trouverons placés entre les mêmes hypothèses que précédemment. Mais là s’arrête la similitude, car rien ne paraît s’opposer à une action réflexe des nerfs de l’ouïe sur les nerfs moteurs, la valeur ou la signification de l’excitation des premiers n’étant pas conventionnelle comme l’était celle des nerfs de la vue. D’autre part, toutes les théories sur le mode d’action de la musique que nous avons discutées jusqu’ici reposent sur l’hypothèse d’une excitation psychique ; or nous les avons toutes trouvées, non pas fausses, mais insuffisantes : il est donc indispensable de s’assurer si l’autre hypothèse ne permettrait pas de compléter ces théories.

La première chose à expliquer, c’est comment il pourra résulter une émotion morale de cette réflexion purement physiologique de l’excitation des nerfs de l’ouïe. Cette émotion s’explique par le fait