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LECHALAS. — sur le mode d’action de la musique

Herbert Spencer. « Dans les chants qui expriment une passion véhémente, dit-il, l’effet dépend souvent surtout du débit impétueux d’un ou deux passages caractéristiques, qui exigent un vigoureux exercice de la force vocale ; on a souvent observé qu’un chant de ce caractère manque son effet, lorsqu’il est exécuté par une voix d’une puissance et d’une étendue suffisantes pour pouvoir donner sans effort ces passages caractéristiques… On voit, donc, que l’effet ne dépend pas seulement des sons eux-mêmes, mais de la nature de l’action qui les produit. » Cette dernière phrase ne paraît pas d’une rigoureuse exactitude, car l’action qui produit le son ne se trahit que par la nature même de ce son ; mais il n’en reste pas moins vrai que l’effet peut dépendre surtout, non du son principal, mais des sons secondaires qui caractérisent mieux que lui l’état du chanteur.

Quoi qu’il en soit de ces détails, nous adoptons complètement la manière de voir de Herbert Spencer, notre étude sera finie, car, l’art de la musique étant ramené à l’imitation, il ne soulèvera plus que des problèmes généraux d’esthétique, et le mode d’action des sons ne présentera aucun mystère spécial. Pour fixer notre opinion sur la valeur de la théorie de Spencer, il nous faut la soumettre à l’épreuve que doivent subir toutes les hypothèses, celle du rapprochement avec les faits qu’elle doit expliquer.

Le premier caractère de l’action musicale, c’est sa puissance d’expression ; et : ce caractère paraît parfaitement expliqué, la voix étant l’un des plus énergiques modes d’expression de nos sentiments. Mais il ne semble pas que le second caractère de l’action musicale, à savoir son indétermination, rentre aussi bien dans la théorie de l’imitation lorsque nous entendons une voix traduisant spontanément l’état d’émotion d’un homme, l’interprétation de cette voix ne laisse généralement place à aucun doute sur la nature de cette émotion ; or, d’après Spencer, la musique porte seulement à son plus haut degré chacune des inflexions de la voix, d’où il semble résulter que l’expression musicale doit s’imposer avec une netteté encore plus grande. Nous sommes d’autant mieux fondés à tirer cette conséquence des principes de Spencer que, dans la peinture ou dans la sculpture, on arrive à des effets de la plus grande détermination en reproduisant et exagérant au besoin les diverses contractions musculaires qui accompagnent une émotion déterminée.

D’autre part, on ne voit pas bien comment la théorie de l’imitation pourrait faire une large part à la musique harmonique, car elle semble devoir restreindre celle-ci à peu près à la seule imitation des bruits de la nature et des foules. Aussi Spencer ne parle-t-il pas de la musique harmonique, et dans son intéressante Esthétique