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simulant le vol d’un oiseau, elle s’écrie : « Ah ! un oiseau ! » elle le voit, elle le suit des yeux quand on lui dit qu’il s’envole. Que l’on fixe son attention sur le parquet en simulant l’acte d’écraser une bête dangereuse : « Un serpent ! » s’écrie-t-elle avec toutes les marques d’une vive frayeur. On peut aussi lui faire voir un des assistants avec un rond rouge autour des yeux ; on peut enfin faire apparaître à son imagination troublée la sainte Vierge ou le diable. Les phénomènes de suggestion et ceux d’hallucination provoquée supposent l’état cataleptique ; on l’obtient, comme on sait, soit par la fascination du regard, soit par une vive lumière électrique ou la flamme d’un paquet de fulmicoton, soit par le bruit subit d’un coup de tam-tam. Rien de plus varié que les différents moyens de provoquer le sommeil hypnotique ; les magnétiseurs grotesques et charlatans peuvent se donner carrière et frapper l’imagination, car, depuis la fascination jusqu’aux passes magnétiques, on peut indéfiniment modifier les procédés. Sans insister sur cette partie toute technique de l’expérimentation, rappelons simplement qu’on peut provoquer des hallucinations de tous les sens et déterminer les expressions physionomiques les plus diverses. « Suivant l’attitude que l’on imprime à la malade, les gestes qu’on lui fait exécuter, la physionomie change et se met en harmonie avec l’attitude. Place-t-on les mains dans la situation d’une personne en colère, la physionomie exprime la colère. Joint-on les mains, la physionomie traduit la supplication. Met-on la malade à genoux, c’est l’expression de la prière. Porte-t-on l’index et le médius sur les lèvres, comme dans l’acte du baiser, le plaisir amoureux se peint sur le visage[1]. » Et tous ces aspects si fugitifs, la photographie les rend instantanément et mille fois mieux que la parole ; rien de plus intéressant et de plus instructif que de comparer l’atlas de Duchenne avec les planches de l’Iconographie. Ici, la nature prise sur le fait ; là, torturée et forcée de livrer ses secrets. Les deux ouvrages se commentent et s’éclairent mutuellement. Il est inutile de prolonger cette analyse et de multiplier ces citations, car le phénomène de suggestion est maintenant accepté par tous les savants et éclaire d’une étrange lumière certains faits de sorcellerie au moyen âge et de contagion mentale à toutes les époques. Citons cependant M. P. Richer, qui écrit dans ses Études cliniques sur l’hystéro-épilepsie : « Lorsque l’attention du sujet cataleptique est attirée, il devient susceptible d’exécuter une série d’actes inconscients qui se produisent à la manière des réflexes, d’une façon en quelque sorte fatale, à la suite de l’excitation des différents sens. » On ne saurait exprimer avec plus

  1. Iconographie photographique de la Salpêtrière, t.  III, p. 124.