Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 17.djvu/247

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
243
BERTRAND. — deux lois psycho-physiologiques

de l’enseignement, qui n’abandonnent jamais l’illustre savant. Je crois que la réputation de M. E. Chevreul comme psychologue ne fera que grandir et qu’il la devra surtout à son curieux ouvrage sur la baguette divinatoire, le pendule explorateur et les tables tournantes. Enonçons d’abord la loi qui s’y trouve démontrée et que nous appellerons loi de Chevreul : « Il se développe en nous une action musculaire qui n’est pas le produit d’une volonté, mais le résultat d’une pensée qui se porte sur un phénomène du monde extérieur, sans préoccupation de l’action musculaire indispensable à la manifestation du phénomène[1]. » Nous verrons que la démonstration de cette belle loi a préoccupé M. E. Chevreul pendant plus de trois quarts de siècle. Aussi a-t-elle acquis, grâce à cette persévérance et à des expériences fort ingénieuses, l’autorité d’une vérité incontestable et vraiment scientifique : elle devrait être depuis longtemps, si je puis parler ainsi, la loi de Mariotte de la psychologie.

La loi de Chevreul se trouve heureusement complétée par les récentes recherches de M. le Prof. Charcot. Non seulement, en effet, l’idée se traduit et s’exprime pour ainsi dire d’elle-même en équivalent nerveux et musculaire, mais encore la force nerveuse et musculaire est susceptible de redevenir idée, sensation, volition. Il existe ainsi une vraie transformation, une sorte de transmutation du physiologique en psychologique et réciproquement. M. Charcot est arrivé à la psychologie par une toute autre voie que M. Chevreul, l’observation des aliénés. Il n’y a rien là qui doive nous surprendre. Darwin, dans son admirable livre sur l’expression des émotions, a signalé l’étroit rapport qui unit à l’observation des aliénés l’observation de la physionomie et par conséquent l’étude des dispositions intérieures que la physionomie révèle. « Il m’a paru, dit-il, qu’il serait bon d’étudier les aliénés, car ils sont soumis aux, passions les plus violentes et leur donnent un libre cours. N’ayant pas l’occasion de faire cette étude par moi-même… je me fis présenter au docteur J. Crichton Browne, qui est chargé d’un immense asile près de Wakefield. Cet excellent observateur, avec une bonté infatigable, m’a envoyé des notes et descriptions étendues, avec des aperçus ingénieux sur plusieurs points, et je ne saurais estimer assez haut le prix de son concours » [2]. Avec quel plaisir et quel intérêt Darwin, qui ne semble citer M. Chevreul que d’après Gratiolet et qui fait un grand éloge de l’ouvrage de Duchenne de Boulogne sur le Mécanisme de la physionomie, n’eût pas feuilleté

  1. De la baguette divinatoire, etc., p. 24.
  2. L’expression des émotions chez l’homme et chez les animaux, trad. S. Pozzi et R. Benoit, p. 14.