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que lorsque ces besoins et ces sentiments eux-mêmes ont changé. L’histoire démontre que leur transformation ne peut se faire que par une série d’accumulations héréditaires et par conséquent avec une lenteur extrême » (p. 400). De ce point de vue, qui est celui de l’évolution et de la théorie des conditions d’existence, la race est le facteur prédominant. Elle est caractérisée psychiquement « par un certain nombre de sentiments et d’aptitudes semblables, faisant effort dans le même sens. » M. Le Bon soutient avec beaucoup de raison, selon nous, « que ce n’est pas l’intelligence, mais bien l’association inconsciente des sentiments dont l’ensemble forme le caractère, qui est le mobile fondamental de la conduite » (p. 658). « Lorsqu’on examine les conditions qui déterminent le succès des individus ou des peuples dans le monde, on est frappé de voir combien la valeur intellectuelle joue un rôle effacé. La volonté, la ténacité et diverses qualités de caractère ont une puissance bien autre, Entre deux individus ou deux peuples, l’un d’intelligence ordinaire, mais possédant beaucoup de courage, de volonté, de patience, prêt à sacrifier sa vie pour faire triompher un idéal quelconque, et l’autre d’intelligence supérieure, mais ne possédant pas les aptitudes que je viens de mentionner, le pronostic n’est pas douteux. Ce sera invariablement le moins intelligent qui l’emportera. À n’envisager l’intelligence que comme élément de succès, on pourrait dire que toutes les fois qu’elle dépasse un certain niveau moyen elle est plus nuisible qu’utile. L’assertion peut sembler paradoxale ; ou reconnaitra aisément sa justesse en essayant de se représenter par la pensée quelles seraient les chances possibles de succès dans une lutte entre deux peuples, l’un possédant, toutes les qualités de caractère dont je parlais plus haut, l’autre constitué par une réunion de philosophes et de profonds penseurs, n’espérant rien d’un monde meilleur ; sachant la vanité de tout idéal, peu disposés par conséquent à sacrifier leur vie pour en faire triompher aucun » (p. 671).

Ce sont là des vérités trop peu admises chez nous, au moins en pratique. On veut, avec les meilleures intentions du monde, fonder une éducation nationale en s’adressant avant tout à l’intelligence, ce qui est un contre-sens psychologique énorme ; mais ce n’est pas ici le lieu d’insister sur ce point.

Notons dans cette partie de l’ouvrage le chapitre consacré à la polygamie, dont l’auteur prend très nettement la défense : « Il n’est guère d’institution plus décriée en Europe et sur laquelle il ait été énoncé plus d’erreurs… mais celui qui mettra de côté ses préjugés d’Européen se convaincra que la polygamie orientale est une institution excellente, qui élève beaucoup le niveau moral des peuples qui la pratiquent, donne beaucoup de solidité à la famille et a pour résultat de rendre la femme infiniment plus respectée et plus heureuse qu’en Europe » (p. 422). « Je ne vois pas d’ailleurs, ajoute-t-il, en quoi la polygamie légale des Orientaux est inférieure à la polygamie hypocrite des Européens, alors que je vois très bien en quoi elle lui est supérieure. » Enfin, « si l’on admet