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ANALYSES.c. cantoni. Emmanuel Kant.

pure, et que, presque en même temps, Gallupi examinait et discutait avec ampleur la doctrine de Kant. Un peu plus tard, Alfonso Testa, de Plaisance, publiait une exposition détaillée et une critique de l’esthétique et de la logique transcendantales, et se ralliait aux principes essentiels du criticisme. Ottavio Colecchi faisait la même chose dans la basse Italie.

Et cependant l’esprit critique ne pénétra pas encore la philosophie italienne autant qu’il l’aurait fallu ; le petit nombre des kantiens purs n’a pas fait école. Galluppi qui, jusqu’en 1830, exerça sur les études philosophiques en Italie une influence prépondérante était trop attaché à l’empirisme pour comprendre pour s’approprier dans toute sa profondeur la pensée de Kant et s’en faire l’apôtre. En 1830, Rosmini, avec son Nouvel essai sur l’origine des idées, fonde une nouvelle école qui peut se glorifier de trois grands noms : Rosmini, Gioberti et Mamiani, Leur doctrine, dans ses derniers résultats, aboutit à une négation absolue du criticisme. Rosmini fut sans contredit le penseur le plus vigoureux que l’Italie ait produit dans ce siècle. Malgré les entraves de ses croyances religieuses, il reprit et développa en certaines parties de ses œuvres la pensée kantienne ; mais il se mit en contradiction avec le principe fondamental du criticisme en renouvelant, sur d’autres points, les procédés dogmatiques de la spéculation au moyen âge et dans l’antiquité, pour s’arrêter à un idéalisme ontologique. Gioberti et Mamiani arrivent par des voies différentes au même terme. Gioberti est admirable pour l’éclat et l’élévation de ses pensées, mais il n’est pas homme à se laisser refréner par le cristicisme. Mamiani enfin, qui représente de nos jours l’école idéaliste avec tant d’honneur et une si merveilleuse activité, n’a pas plus de goût que les deux autres pour la doctrine kantienne. Il la connaît à fond cependant ; il ne se lasse pas de l’étudier et de la discuter ; il lui a même consacré un ouvrage spécial ; mais il n’en a pas été guéri du dogmatisme, et, tout au contraire, il prétend à renouveler la philosophie platonicienne, la plus opposée de toutes à l’esprit du criticisme.

Cet esprit ne manque pas seulement aux idéalistes. Il y a encore en Italie trois écoles principales et plus nombreuses : les Hégéliens, les Thomistes et les Positivistes,

Sans doute l’hégélianisme s’accorde assez bien avec le mouvement général de la pensée philosophique moderne ; mais la réaction kantienne qui s’est produite contre lui en Allemagne se produira nécessairement aussi en Îtalie, et pour les mêmes raisons. Cette réaction en effet ne fut pas seulement philosophique et il ne faudrait pas l’attribuer à la seule influence d’Herbart. Elle vint surtout du progrès des sciences expérimentales. On comprit que l’apriorisme pouvait bien dans certains cas deviner avec bonheur la suite de certains faits, mais non la prédire à coup sùr, et qu’une vraie science de la nature et de l’histoire devait se fonder uniquement sur l’expérience et l’étude attentive des faits. Je ne pense pas que le nombre des hégéliens soit assez grand en France