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contraire que, comme j’ai dit, plusieurs de ces difficultés ou n’existent pas (comme c’est le cas pour la vision des objets non renversés, malgré le renversement des images physiques sur la rétine), où en tout cas sont beaucoup moins graves qu’elles ne le paraissent.

Mais, pour en venir aux points sur lesquels je ne tombe pas entièrement d’accord avec M. Souriau, je commence par observer qu’il ne semble pas tenir compte de deux distinctions très importantes à mon avis, qui, si je ne me trompe, auraient dû rendre sa solution encore plus facile et plus complète.

La première est celle qui a lieu entre les sensations et les sentiments, distinction qui dans nos langues ou n’est pas faite ou ne se conserve pas, et que cependant il faut maintenir ferme, en donnant arbitrairement aux termes une valeur technique[1]. Mais les faits que je désigne par ces deux mots sont en eux-mêmes bien distincts, et ce serait une erreur dans la science de les confondre, parce que le plus souvent ils se produisent réunis et qu’ils n’ont pas de signe approprié dans la langue commune. Une bonne définition remédierait à tout ; mais comment définir des faits absolument primitifs et simples ? Tout au plus le sentiment pourra être déterminé au moyen de son caractère général et essentiel, qui est d’être agréable ou désagréable, ou plutôt d’être un plaisir ou une douleur. Mais, pour ce qui en es de la sensation, le mieux serait de l’indiquer au moyen de quelques exemples spéciaux, en disant par exemple : le rouge, le vert, le son, l’odeur, le chaud, la dureté, etc., voilà des sensations.

Je sas bien que plusieurs psychologues, notamment allemands, ont regardé le sentiment comme un caractère accessoire de la sensation et l’ont souvent appelé le ton de celle-ci (der Ton der Empfindung). En outre, il se peut qu’il y ait des raisons physiologiques pour soutenir que l’une et l’autre ne sont que deux aspects d’un seul processus. Cependant on ne peut nier que psychologiquement ils sont distincts, quoiqu’ils puissent être généralement inséparables, et que dans l’explication des faits ils jouent un rôle bien différent. Celui qui ne tiendrait pas compte de cette distinction risquerait à coup sûr de tomber dans des confusions inextricables.

Ici, puisque j’ai touché la question de la distinction et de l’inséparabilité de ces deux éléments de la vie psychique, qu’on me permette une brève digression, qui peut-être ne sera pas tout à fait inutile pour notre sujet.

Si l’on prend la sensation et le sentiment comme deux coefficients

  1. Ni le feeling des Anglais, ni le Gefühl des Allemands n’ont dans le langage usuel le sens précis et constant que je donne au terme sentiment.