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SPENCER. — passé et avenir de la religion

nous est possible de la concevoir, suppose des existences indépendantes d’elle et qui lui sont objectives. Elle s’exerce à la suite de changements dont l’origine est due à des activités qui lui sont étrangères, à savoir à des impressions produites par des choses en dehors de la conscience et à des idées qui dérivent de ces impressions. Parler d’une intelligence existant en l’absence de toutes ces activités étrangères, c’est employer un mot vide de sens. Si au corollaire que la cause première, considérée comme intelligente, doit nécessairement être continuellement affectée par des activités objectives indépendantes, on réplique que ces dernières sont devenues telles par un acte de la création et qu’elles étaient auparavant impliquées dans la cause première, nous dirons à notre tour que dans ce cas la cause première ne pouvait pas, avant la création, avoir aucun motif de produire en elle-même ces changements qui constituent ce que nous appelons l’intelligence et devait par conséquent avoir été inintelligente à l’époque où l’intelligence était le plus nécessaire. Il est donc évident que l’intelligence attribuée à Dieu ne correspond sous aucun rapport à ce que nous désignons par ce nom. C’est une intelligence dépourvue de tous les caractères qui constituent l’intelligence.

Ces difficultés et d’autres encore, dont quelques-unes sont souvent discutées mais n’ont jamais été résolues, forceront plus tard les hommes à retrancher les caractères anthropomorphiques supérieurs attribués à la cause première, comme ils ont depuis longtemps retranché les caractères inférieurs. La conception qui s’est développée depuis le commencement continuera de se développer jusqu’à ce que, par l’absence de toute limitation, elle devienne une conscience dépassant les formes de la pensée distincte, en restant néanmoins une conscience.

« Mais comment une conscience de l’inconnaissable, reposant sur une donnée vraie, peut-elle être finalement atteinte par des modifications successives d’une conception absolument fausse ? La théorie des esprits du sauvage ne repose sur aucun fondement. Le double matériel d’un homme mort auquel il croit n’a jamais existé. El si la dématérialisation de ce double a produit la conception de l’agent surnaturel en général, si la conception d’une divinité, formée par le retranchement de quelques attributs humains et par la transfiguration de quelques autres, a été le résultat de la continuation de ce processus, la conception développée et purifiée à laquelle on est arrivé en poussant le processus jusqu’à ses limites extrêmes, n’est-elle pas aussi une fiction ? Certainement si la croyance primitive était absolument fausse, toutes les croyances qui en sont dérivées, doivent être fausses également. »