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REGNAUD. — l’évolution de l’idée de briller

dont la valeur est exceptionnelle et qui peuvent tenir lieu, d’une manière au moins provisoire, de l’ensemble de ceux que les langues et les littératures de tous les temps et de tous les peuples sont capables de fournir un jour. J’entends par là les documents que constituent les idiomes considérés comme à peu près primitifs parmi les langues indo-européennes, et particulièrement le sanskrit, le grec et le latin. Ces langues (et la littérature qui y correspond) embrassent tout le développement d’une immense civilisation, une dans ses origines, quoique divisée bientôt en rameaux indépendants ; elles sont les filles de la pensée de la race la plus intelligente, sinon la plus nombreuse du globe ; sous leur forme la plus ancienne, elles correspondent, quantité de traits nous l’indiquent, aux impressions de la première jeunesse de cette race privilégiée, tandis que nous pouvons en suivre l’évolution au double point de vue grammatical et logique jusqu’au sein de la culture contemporaine, sous les principaux aspects qu’elle revêt en Europe, en Asie et en Amérique. De tels titres, sans dis penser pour toujours de l’étude, au point de vue en question, des autres dialectes primitifs de l’humanité, donnent une prépondérance incontestable aux idiomes indo-européens.

Dans les limites où je circonscris mon travail, et par cela même qu’il porte sur trois langues congénères et considérées dans leur développement historique, il se trouve intéresser autant la linguistique et l’étymologie que la logique proprement dite et l’idéologie. Nous verrons même que les unes et les autres de ces sciences sont appelées à se prêter ici un mutuel appui. Il est certain qu’à moins d’une identité assez rare, tant pour la forme que pour le sens, entre deux mots appartenant à des idiomes différents quoique apparentés entre eux, l’étymologie qui n’est pas fondée sur une double possibilité phonétique et logique, c’est-à-dire qui n’est pas justifiée par les règles auxquelles sont soumises tout ensemble les permutations des sons et les modifications du sens, est dépourvue de garanties suffisantes. On ne saurait raisonnablement mettre en doute que le grec πατήρ et le latin pater n’aient une origine commune ; mais le rapport étymologique de ἄνεμος « souffle, vent », et animus, « âme », n’est certain que, parce que l’exemple de πνεῦμα auprès de πνέω et celui de spiritus auprès de spiro, témoignent d’une relation constante entre les mots qui signifient respirer et ceux qui désignent l’âme ou l’esprit, et que d’ailleurs l’ε et l’ο grecs peuvent être représentés par l’i et l’u latins. Cette méthode si nécessaire et si féconde a pourtant été fort négligée jusqu’ici par les étymologistes ; du moins on ne l’a employée qu’à bâtons rompus, comme au hasard et sans en tirer grand parti. Il suffit, pour s’en convaincre, soit de parcourir le grand dictionnaire sanskrit-allemand