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ANALYSES.b. pérez. J. Jacot.

lui-même. Ce qu’on appelle plus particulièrement méthode Jacotot rend des services dans l’étude des langues, surtout dans celle des langues vivantes, quand un esprit qui en sait déjà une ou plusieurs veut en apprendre d’autres, et les apprendre vite plutôt que les savoir bien arriver à les lire couramment plutôt qu’à les écrire correctement. Des savants, des philosophes, sachant déjà l’allemand, par exemple, ont pu, par ce moyen ou par des moyens analogues, se mettre assez vite en état de lire l’anglais. Des élèves assez avancés en latin ont pu arriver en peu de temps à s’orienter à peu près dans un texte grec. Gain considérable, nous ne cherchons pas à le nier, car, au contact des textes, la curiosité s’éveille, l’esprit s’anime, et il n’est pas étonnant que les résultats aient parfois paru excellents au prix de ceux qu’on obtenait par la voie fastidieuse et interminable de la grammaire et du thème écrit. Mais quel pauvre esprit serait celui qui n’aurait jamais connu d’autre discipline que cette méthode d’assimilation hâtive et confuse ! Pour tirer bon parti des indications utiles données par Jacotot, il faudrait, en tout cas, contrairement à l’un de ses pires paradoxes et suivant la remarque de M. Compayré[1], des maîtres fort savants et fort habiles, non de ces purs « Jacotiens » ou « Jacotistes », comme dit M. Pérez, qui se flattent d’enseigner ce qu’ils ignorent. On pourrait aussi améliorer les procédés, par exemple faire des économies sur ce que M. Pérez appelle, d’un mot encore moins bon que la chose, le travail de « mémorisation ».

M. Pérez a écrit (p. 118) une critique malicieuse du culte exclusif de la forme littéraire, qui caractérise suivant lui l’Université, et du style des normaliens, pour lequel il professe une admiration non exempte de dédain. Sans nous donner le plaisir puéril d’user ici de représailles contre un écrivain sincère et sympathique, dont les critiques, après tout, sont justes en partie, nous lui ferons remarquer que cela ne porte jamais bonheur, même aux esprits qui ont du fond, de médire de la forme. Certaines rudesses et inexpériences de plume ne gâtent pas nécessairement un bon livre ; mais à condition que l’auteur n’en tire pas vanité et n’érige pas en théorie le sans façon absolu du style.

Nous aurions infiniment à dire sur chacune des questions traitées dans ce petit livre, qui touche à tant de grandes choses. Nous ne serions pas toujours d’accord avec M. Pérez, notamment sur les études classiques, sur sa façon sommaire de juger et de condamner le latin ; mais ce n’est pas le lieu d’entamer de telles discussions, encore moins d’indiquer à la hâte, sans profit pour personne, tous les points sur lesquels porterait entre nous le dissentiment. Le dissentiment serait beaucoup moindre, nous en sommes convaincus, si l’écrivain mettait toujours dans l’expression de sa pensée autant de souplesse et de nuance que le philosophe met de vigueur et de bonne foi dans sa pensée même. Il n’import Pérez nous a donné un livre franc, écrit de verve, très suggestif et très utile.

Henri Marion.
  1. Hist. crit. des doctrines de l’éducat., t.  II, p. 349.