Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 17.djvu/105

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
101
ANALYSES.derepas. Les théories de l’inconnaissable, etc.

rare que savoir sans le croire et ignorer sa science. Mais n’insistons pas. Nous n’avons signalé cette manière de raisonner que pour montrer à M. Derepas avec quelle facilité elle peut se retourner contre ceux qui l’emploient, et combien elle a peu de valeur. Faut-il dire encore que ce n’est pas à l’autorité des métaphysiciens ni même des théologiens qu’on doit faire appel, mais qu’on doit peser leurs raisons ? Aussi ne songeons-nous pas à faire à M. Derepas un grief de la hardiesse de sa thèse ; bien au contraire. Il sait d’ailleurs fort bien ce qu’il fait : « Quoi donc ! s’écrie-t-il, oser attaquer, dans une position qu’ils occupent de concert, Spinoza, Kant, Spencer ! Pourquoi pas ? En ce temps de libre discussion, ne sera-t-il pas permis de mettre au-dessus de la superstition de la gloire, la religion de la vérité ? » Nous aimons cette intrépidité. À tout esprit sans parti pris elle ne peut inspirer qu’une véritable sympathie pour ce téméraire, ou plutôt ce vaillant.

L’ouvrage est divisé en trois parties : la première expose les théories de l’Inconnaissable d’après Spinoza, Kant, Spencer ; la seconde est la critique de ces théories ; la troisième renferme l’exposition de la doctrine que M. Derepas oppose à celle de ces philosophes.

Du premier livre nous ne dirons rien ; les doctrines sont assez connues, et ce serait une tâche ingrate de résumer un résumé. Il est difficile cependant de ne pas s’étonner un peu de voir ranger Spinoza parmi les théoriciens de l’Inconnaissable, Si c’est parce qu’il a cru que l’Absolu ne peut pas être entièrement connu par nous, il n’y a peut-être pas un philosophe qui ne doive être rangé dans la même catégorie. Si on considère l’ensemble de sa doctrine, personne n’a été plus audacieusement dogmatiste que l’auteur de la théorie des idées adéquates ; personne n’a eu plus de confiance dans la puissance de la raison et n’a cru plus fermement avoir atteint l’absolu. S’il mérite un reproche, ce n’est pas pour avoir fait trop large la part de l’Inconnaissable, mais pour s’être flatté de connaître trop de choses.

Dans le second livre, la critique de M. Derepas ne pénètre pas assez avant dans les doctrines qu’elle combat. Il semble parfois que l’auteur les ait étudiées d’une façon un peu hâtive et sommaire. Ce défaut est surtout visible dans le chapitre sur Spinoza. Ailleurs encore on est un peu surpris d’entendre M. Derepas dire à propos de la théorie de Leibnitz sur l’impossibilité pour les monades d’agir les unes sur les autres : Je me demande pourquoi (p. 112). En même temps qu’il s’adressait à lui-même cette question, il aurait pu la faire à Leibnitz : Leibnitz aurait répondu.

L’argument qui revient sans cesse, qui « est comme le refrain » (p. 69) de tout ce chapitre, c’est que pour comprendre les phénomènes, objet incontesté de la science positive, et leurs conditions immédiates, telles que le temps, l’espace, le mouvement, la force, il faut que nous ayons l’idée du temps absolu ou de l’éternité, de l’espace absolu ou de l’immensité, etc. Le temps particulier n’est intelligible que comme une partie du temps absolu ; l’espace relatif n’est qu’une partie que nous