Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 17.djvu/10

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
6
revue philosophique

que l’avenir probable de ceux qui existent actuellement, il faut tenir compte de cette vérité. Pendant le cours de ces premiers changements qui amènent la création d’une hiérarchie de dieux, demi-dieux, d’esprits de diverses espèces et de divers rangs, l’évolution suit sa marche sans grande déviation. Tandis que la masse des êtres surnaturels augmente, la mythologie ainsi produite devient de plus en plus précise quant à l’arrangement de ses parties et aux attributs des membres qui la constituent. Mais dans la suite la dissolution destructrice parvient quelquefois à triompher. La connaissance des causes naturelles devenant plus générale, l’évolution mythologique se trouve arrêtée, et les croyances qui sont le plus en contradiction avec les progrès de la science s’affaiblissent. On songe moins aux démons et aux divinités secondaires qui président à certaines divisions de la nature, à mesure qu’on remarque davantage que les phénomènes qu’on attribue à leur intervention suivent un ordre constant ; de là disparition progressive des divinités inférieures. En même temps, le grand dieu, qui est à la tête de la hiérarchie, acquérant une suprématie toujours plus grande, on lui attribue un grand nombre d’actes que l’on attribuait auparavant à une foule d’êtres surnaturels ; voilà une intégration de pouvoir. De plus, à mesure que la conception d’un dieu tout-puissant et universel se développe, ses prétendus attributs humains tombent dans l’oubli ; la dissolution commence à affecter la personnalité suprême dans sa forme et dans sa nature.

Déjà, comme nous l’avons vu, dans les sociétés avancées et surtout parmi les membres supérieurs de ces sociétés, ce processus est allé jusqu’à noyer toutes les puissances surnaturelles inférieures dans une seule puissance surnaturelle ; et déjà, d’après le procédé que M. Fiske appelle désanthropomorphisation, cette puissance surnaturelle unique a perdu les attributs humains d’une nature grossière. Si dans la suite les choses persistent à suivre le cours qu’elles ont suivi jusqu’ici, il faut conclure que ce retranchement des attributs humains continuera. Examinons quels changements positifs seront amenés par ce retranchement.

Deux facteurs s’uniront nécessairement pour les amener. D’abord le développement de ces sentiments supérieurs qui ne permettent plus d’attribuer des sentiments inférieurs à une divinité, ensuite le développement intellectuel qui ne permet plus de nous contenter des interprétations grossières admises autrefois, Naturellement, en indiquant les effets de ces facteurs, il faut que j’en cite quelques-uns qui sont familiers, mais il est impossible de les négliger quand on parle des autres.