Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 16.djvu/202

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

Brücke a donné une théorie analogue de la perception de profondeur. Nous acquérons la connaissance de la troisième dimension, parce que nous fixons rapidement l’un après l’autre une série de points par un changement dans la convergence des deux yeux : des perceptions séparées dans le temps se fondent ensemble et ainsi se forme la représentation de « l’un derrière l’autre ».

Ces théories ne tiennent pas suffisamment compte du rôle des mouvements. L’auteur montre par exemple que la fusion des images visuelles ne s’opère pas quand on considère une longue allée illuminée, soit qu’on la considère d’un bout (dans sa profondeur) ou d’en haut (dans son étendue). « Pour me représenter l’étendue en profondeur ou en superficie, il me faut mouvoir les yeux ou du moins esquisser ces mouvements qui sont nécessaires à la perception de la profondeur et de la superficie. Herbart et Brücke, quoiqu’ils aient bien remarqué la participation des mouvements à la formation des représentations de l’espace, ont négligé l’essentiel. Ils n’ont pas vu que ce sont les sensations de mouvement qui jouent ici un rôle capital. » C’est ce qui n’a pas échappé à quelques philosophes anglais de ce siècle. Les sensations musculaires forment un élément nécessaire de toute représentation d’espace. « La rétine nous donne peut-être l’unité d’étendue, et le travail musculaire nous apprend combien de fois cette unité doit être prise. Ce serait une sorte de multiplication. Quand l’œil doit faire une grande excursion pour regarder à droite, à gauche, en haut, en bas, alors le facteur “travail musculaire” serait grand, et l’espace devrait avoir une étendue correspondant à cette grandeur. » Pour l’auteur, il n’existe qu’une seule chose qui soit innée (ürsprunglich gegeben), c’est la connaissance du lieu (Ortserkenntniss), dans la périphérie de notre corps ; mais, dans cette représentation du lieu, celle de l’étendue n’est pas nécessairement comprise. L’unité d’espace doit être étendue pour que les complexus le soient ; mais un élément d’espace n’est pas nécessairement une unité d’espace : l’oxygène est un élément d’eau, mais n’est pas une unité d’eau.

Lorsque je veux voir un objet proche, je tire les yeux en dedans, et les axes visuels convergent par l’action des muscles droits internes. Lorsque je veux voir à de grandes distances, je tire les yeux en dehors, de manière à rendre les axes parallèles par l’action des muscles droits externes. Lorsque je veux me représenter un espace très profond, je remarque clairement qu’il se passe quelque chose dans la région des droits externes, dans la région intéressée lorsque je meus les yeux en réalité. Deux muscles concourent dans la représentation de l’éloignement, d’abord le droit externe de chaque côté, ensuite un muscle dans l’intérieur de l’œil. Ce dernier point a été signalé par Czermak. Ceux qui sont doués d’une grande finesse pour l’observation des mouvements internes, remarquent bien que, dans le passage brusque de la représentation d’un grand éloignement à celle d’un grand rapprochement, il se produit quelque chose dans l’intérieur de l’œil. Si j’essaye de me représenter un grand éloignement en faisant fortement converger les yeux comme pour