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pirer. Remarque analogue pour eP. Mais si je tiens la bouche ouverte, en retenant ma respiration, je constate que, dans ces conditions, il m’est impossible de me représenter un P prolongé. Au bout de quelques secondes, le P perd son caractère propre. Ce sentiment des lèvres dont nous avons parlé et qui caractérise le P disparaît. Il en est ici comme d’un timbre de table : un coup le fait sonner, mais il faut plusieurs coups pour plusieurs sons ; le doigt a beau rester appuyé sur le timbre, il ne prolongera pas le premier son. Il est donc clair que je dois envoyer plusieurs impulsions l’une après l’autre pour me représenter plusieurs P l’un après l’autre. Peut-être puis-je prolonger un peu la transmission d’une impulsion. — Même remarque pour les voyelles. Tout ici s’accorde d’ailleurs avec ce que l’on sait de l’innervation qui n’est pas continue, mais intermittente.

La recherche subjective montre de même que, si je me représente un P, je n’ai conscience que d’une seule impulsion ; que, si je veux retenir cette représentation, je dois répéter les impulsions, envoyer du centre une nouvelle influence aux nerfs moteurs.

Ainsi donc, accord des deux ordres de recherches, objective et subjective, pour établir ce résultat : « que les représentations de mots consistent dans la conscience ou le sentiment d’impulsions motrices ». Ces sentiments que je localise dans les muscles sont les éléments à l’aide desquels sont construites mes représentations de mots. Ces sentiments diffèrent suivant les nerfs et les muscles mis en jeu et suivant la nature de l’impulsion. Par cette conscience des différences, je distingue les différents sons, et ainsi me sont donnés les éléments à l’aide desquels je compose les mots. Les représentations de mots ne sont donc rien autre chose que la conscience de l’activité de ces centres, que la conscience de l’excitation de ces nerfs moteurs qui font contracter les muscles de l’articulation. Ainsi se trouve établie cette assertion que les représentations verbales sont des représentations motrices.

Pour corroborer sa thèse, l’auteur examine longuement les représentations verbales dans diverses conditions où peut se trouver la pensée : 1o pendant qu’on parle haut ; 2o pendant qu’on lit ; 3o pendant que nous entendons un discours. Il examine aussi la manière dont nous comprenons : 1o les mots, 2o l’écriture, 3o le langage parlé. Dans cette étude, pleine de détails intéressants, dont plusieurs sont empruntés aux sourds-muets, il s’attache à montrer le rôle prépondérant des éléments moteurs et à combattre l’opinion qui attribue le rôle principal aux impressions auditives ; mais il fait remarquer que, pour évoquer les représentations verbales, les excitations qui agissent sur les centres moteurs sont dans l’ordre de leur intensité : auditives, visuelles, internes (la pensée).

Un dernier point nous reste à examiner : Comment, dans le sensorium, les sons forment-il des mots ? Le procédé est-il celui des machines à écrire ? Possédons-nous un petit nombre de touches que nous mettons en mouvement aussi souvent, aussi exactement et en aussi grand