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C. VIGUIER. — le sens de l’orientation


I

Ceux qui repoussent l’hypothèse d’un sixième sens cherchent l’explication des faits dans la finesse de l’odorat ou dans une observation inconsciente à l’aide des divers sens.

La première théorie eut pour principaux défenseurs MM. Alf. Russell Wallace et Croom Robertson. Une lettre du premier, insérée dans le no  du 20 février 1873 du journal the Nature, souleva même une longue et intéressante discussion, que j’aurai assez souvent à citer au cours de ce travail. En voici l’origine. Dans le no  du 13 février du même journal, M. Huggins avait raconté la singulière histoire d’une famille de chiens qui témoignait une haine particulière aux bouchers, qu’ils fussent ou non e tenue de travail. Cette haine héréditaire se manifestait encore lorsque les animaux ne pouvaient approcher, ni même voir, l’objet de leur antipathie. C’est à ce sujet que M. Wallace écrivit sa lettre, dont voici les points importants. Les trois cas rapportés prouvent que la sensation pénible venait par l’odorat : ce qui est d’accord avec la délicatesse prodigieuse de ce sens chez beaucoup d’animaux, et spécialement chez les chiens. Il est naturel de supposer que quelque ancêtre de ces chiens avait été maltraité par divers bouchers, peut-être à la suite de vols ; et que l’odeur du boucher s’était associée au souvenir de la douleur et au désir de la vengeance. Mais le fait le plus important est la mise en évidence de la délicatesse du sens de l’odorat. « Ceci, ajoute l’auteur de la note, me paraît appuyer une opinion que je me suis formée depuis longtemps (bien que je ne l’aie point encore publiée) sur la manière dont on doit expliquer une autre classe de prétendus instincts… La faculté que possèdent beaucoup d’animaux de revenir par une route qu’il sont parcourue sans la voir (par exemple enfermés dans un panier placé à l’intérieur d’une voiture) a été généralement considérée comme une preuve avérée de véritable instinct[1]. Mais il me semble que, dans les circonstances indiquées, l’animal, grâce à son désir de s’échapper, doit être fort attentif ; et qu’il prendra note, au moyen du seul sens qui reste à sa disposition (sens fort délicat, nous l’avons vu), des diverses odeurs qui se rencontrent successivement sur le chemin et qui laisseront dans son esprit une série d’images aussi distinctes que celles que nous recevrions par le sens

  1. Ces faits sont tellement nombreux qu’il n’est guère de personne qui n’en connaisse quelqu’un. De nombreuses observations de cette nature ont été publiées par les divers auteurs ; mais, comme elles ne sont plus contestées, même par les adversaires du sens de direction, il m’a paru inutile d’en rapporter ici.