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n’est que de l’intelligence dégénérée (lapsed). L’action, maintenant fixe et fatale, fut primitivement accomplie avec discernement, et par conséquent avec intelligence. En un mot, ce qui est aujourd’hui une tendance innée fut d’abord de l’expérience acquise. En s’en tenant à cette définition, il est clair que l’on ne saurait trouver dans l’instinct que ce qu’a pu y mettre l’intelligence, aidée de l’expérience accumulée durant l’existence de la lignée ancestrale tout entière. Nous arrivons ainsi à conclure que tous les instincts doivent pouvoir s’expliquer par l’action des sens ; et que les actes accomplis par certains animaux, soit faits isolés, soit habitudes héréditaires, qui ne sont point explicables à l’aide de ce que nous connaissons par nous-mêmes, doivent être rapportés à des sens plus délicats que les nôtres, ou même à d’autres sens. En effet[1], « si certains animaux possèdent des sens plus délicats ou même plus nombreux que ceux dont nous jouissons, ils sont en état d’acquérir, par perception directe, des notions auxquelles nous ne pouvons arriver que par le raisonnement et l’usage d’instruments de précision… La possibilité qu’il y ait d’autres sens que les cinq que nous possédons apparaîtra de suite, si nous remarquons que, de toutes les forces physiques, la lumière est la seule dont nous ayons une perception directe. Nous ne reconnaissons la chaleur et l’électricité qu’autant qu’elles donnent lieu à des phénomènes affectant notre vue ou notre sensibilité[2]. Or il est clair qu’il pourrait exister des sens, au moyen desquels on aurait une connaissance directe de l’état électrique ou thermique des corps. Et, si nous avions des sens de ce genre, il est évident qu’ils nous permettraient de distinguer immédiatement des objets qui, sans examen scientifique préalable, nous paraissent identiques, et de reconnaître en eux des changements de condition qui nous échappent à présent[3]. »

Il ne faut donc point s’étonner que, tandis que cette faculté d’orientation dont nous parlions tout à l’heure est attribuée par quelques écrivains à une acuité particulière des divers sens que nous possédons, elle soit considérée par d’autres comme nécessitant l’intervention d’un sixième sens que l’on désigne, sans connaître sa nature ni ses organes, sous le nom de sens d’orientation ou de direction.

Nous allons passer en revue ces opinions diverses.

  1. Quarterly Journal of Science, loc. cit.
  2. Ceci n’est point tout à fait exact pour ce qui est de la chaleur.
  3. Des idées analogues ont été exprimées par le prof. Nægeli dans un discours prononcé à Munich. Voy. The Limits of Natural Knowledge (the Nature, vol. XVI, p. 581).