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ANALYSES. — W. WUNDT. Experimentelle Psychologie.

pensée, qui n’est exprimée nulle part, mais sous l’inspiration de laquelle notre auteur écrivait son premier travail, aurait eu le mérite d’introduire dans la philosophie française une nouvelle méthode, si, comme M. Ravaisson le remarque, au lieu d’être simplement pressentie, elle avait trouvé sa formule. Une méthode que l’on entrevoit seulement par delà les nuages a des chances de rester longtemps stérile ; c’est le cas de la présente méthode ; M. Charaux ne s’est point assez préoccupé de la faire descendre du ciel. Sans doute, depuis la première page du livre jusqu’à la dernière, on sent un cœur épris de Dieu, ardent à le poursuivre. L’auteur écrit de verve, avec grâce, tendresse, onction même, et ses raisons, qui trop souvent se dissimulent derrière d’agréables métaphores, mériteraient d’être persuasives, tant l’écrivain est persuadé. « Je vois, je sais, je crois, » disait la Pauline de Corneille. M. Charaux le dit de beaucoup de manières et sur beaucoup de tons. Que, par delà les méthodes défectueuses, qui ont enfanté l’erreur, l’auteur en aperçoive une autre, source infaillible de vérités, on serait mal venu à en douter. Mais quelle est cette méthode ? L’auteur avait oublié de nous le dire ; dans la conclusion, il se ravise et nous propose les trois règles suivantes :

« 1o Ne point refuser à la vérité, c’est-à-dire à l’être en qui toute vérité réside, l’amour qu’il sollicite et dont il a déposé le germe dans nos âmes.

« 2o Régler et féconder l’amour du vrai par la pratique du bien. Purifier l’âme par la vertu, afin qu’elle devienne plus capable de recevoir et de réfléchir la lumière.

« 3o Se bien pénétrer de l’infinie distance qui sépare l’intelligence imparfaite de la vérité parfaite, etc. »

Il y a donc une vérité en soi, une vérité personnifiée, une vérité qui sollicite notre amour ! Où M. Charaux en a-t-il donné les preuves ? Cette vérité est telle que d’elle à nous la distance est infinie ? — Soit ; mais que conclure de cette assertion peu précise ? C’est que nous ne la connaitrons jamais. Alors nous l’aimerons sans la connaître ? Pour aimer, ne faut-il pas cependant que l’objet de mon amour existe ? Je ne puis aimer le néant. L’auteur a pressenti ces objections ; aussi ne nous demande-t-il pas d’aimer Dieu ; il nous affirme que nous l’aimons sans le savoir : « Vous aimez Dieu, donc Dieu existe. » L’argument est plus ingénieux que persuasif, d’autant plus que rien n’est équivoque comme le terme amour. Autre est l’amour de l’homme pour l’homme, autre est l’amour de l’artiste pour la beauté que son imagination lui fait entrevoir. Auquel de ces deux amours ressemble l’amour divin ? Voilà le problème à résoudre : il se peut que l’intelligence humaine se trouve là en présence d’une énigme dont elle n’aura jamais la clef ; il se peut dès lors qu’en dépit des mystiques, des saints et des martyrs, l’énergie de l’amour divin ne devienne jamais une preuve incontestable de l’existence de Dieu. Faut-il ajouter que les noms donnés à Dieu par l’auteur de la Méthode morale sont bien faits pour porter