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psychologie réagisse contre ce dualisme cartésien qui pèse sur elle depuis si longtemps et qui n’est qu’un matérialisme tempéré par des besoins moraux. Elle doit emprunter aux sciences de la nature leurs propres armes, leurs méthodes exactes, pour étudier les lois de la vie psychique, et, si elle réussit dans cette voie, elle peut espérer que les services qu’elle rendra à la philosophie seront meilleurs que ceux qu’elle en a reçus.

Th. Ribot.

Ch. Charaux. De la pensée. Durand et Pedone Lauriel. 1881.

Sous ce titre, l’auteur nous donne un recueil de « méditations chrétiennes ». Ainsi conviendrait-il, ce nous semble, du moins, de désigner les courtes dissertations imprimées dans cet intéressant volume. M. Charaux n’a garde d’être un métaphysicien indépendant ; sa conscience de catholique lui en ferait un reproche. Croire en Jésus-Christ tout d’abord, vivre de sa vie, appliquer sa raison à l’intelligence de sa doctrine, voilà quelle devrait être la méthode des philosophes, si la présomption, l’orgueil, l’excès de confiance en eux-mêmes ne les détournaient du droit chemin. Ils cherchent la vérité, cela va sans dire, et, sous prétexte de la chercher avec désintéressement, ils la cherchent avec indifférence. La vérité ne se donne jamais, si on ne la poursuit avec amour. Ce n’est pas assez dire : aimer la vérité ne suffit pas, il faut encore vouloir vivre selon elle ; toute philosophie est sagesse, et toute doctrine est dépourvue d’autorité à laquelle on ne sait pas conformer sa manière de vivre. La vraie éloquence se moque de l’éloquence ; la vraie philosophie, pourrait dire M. Charaux, se moque de la philosophie. Et cependant, il ne sait point railler, c’est justice à lui rendre ; il déteste l’erreur et souffre des maux que l’erreur entraîne. On dirait que, né converti, il lui reste encore à convertir les autres âmes et, pour mieux y réussir, à implorer l’assistance divine. Témoin cette éloquente prière : « Donnez-moi, ô Vérité infinie, Etre parfait, donnez-moi de vous servir de plus en plus par la justice et par la charité, et je ne craindrai point de vous oublier, je ne craindrai plus de vous méconnaître. Enseignez à tous les hommes et d’abord aux philosophes, c’est-à-dire à ceux qui s’intitulent vos amis, que tout leur être dépend du vôtre et qu’ils doivent en retour vous consacrer tout ce qu’ils sont, leur amour avec leur raison, leur volonté avec leur raison, avec leur amour. Faites-les souvenir que, pour s’unir à vous et vous posséder sans trouble, il ne suffit pas d’un acte de foi sans amour et sans vertu. »

Ainsi se termine la première étude du recueil, celle qui a pour titre : La pensée et l’amour ; la méthode morale. M. Ravaisson, dans son célèbre Rapport, fit à ce travail les honneurs d’une mention accompagnée d’éloges. À la différence des éclectiques d’alors, M. Charaux ne pensait pas que la raison dût se passer du concours des facultés morales. Le cœur a ses raisons, qu’il appartient à la raison de connaître. Cette