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meuvent, s’éloignent ou se rapprochent, se séparent ou s’unissent. Suivons-les dans leur route. Nous assisterons à la formation de notre Soleil et des planètes, et, en particulier, de la Terre. Fluide d’abord, elle se solidifie ensuite, soit à la surface, soit au centre, — ceci nous importe peu, — et il se forme des montagnes et des vallées, toujours sous l’action de ces mêmes forces. Mais, pendant l’éternelle série des siècles, une molécule n’est jamais, fût-ce un seul instant, soustraite à l’influence active des autres molécules ; sa marche est la résultante de leurs actions ; chacun de ses pas est l’image renversée du reste de l’univers. Si donc elle se détache d’une des montagnes, il ne faut pas croire qu’elle va décrire une parabole pure. Non ! un arc fini de la courbe qu’elle va tracer fait partie de sa trajectoire indéfinie ; sa chute n’est qu’une portion plus ou moins accidentée de cette trajectoire, dont le caractère est constant, en quelque endroit qu’on la prenne. C’est ainsi que nous voyons des équations, même très peu compliquées, donner lieu à des courbes bizarres, qui tantôt s’allongent, tantôt se ramassent et se replient sur elles-mêmes, et qui jouissent en tous leurs points de propriétés uniformes.

Telle est indubitablement la forme du trajet que suit la pierre qui tombe, en supposant toujours, bien entendu, que sa chute et la figure de la montagne soient dues uniquement ce qui, comme on le verra, n’est pas probable — aux forces physiques initiales. La trajectoire de chacune de ses molécules était définie de toute éternité, et cette trajectoire, dans un ordre de choses qui n’admet que des forces constantes et éternelles, est nécessairement une ligne courbe, dont l’équation est sans doute infiniment compliquée, mais est absolument définie. Toute déviation, toute déformation, toute interruption dans cette trajectoire ne pourrait venir que d’une force nouvelle non contenue dans les forces primitives.

Mais le repos ? Quand la pierre est arrêtée, peut-on, en considérant un de ses fragments, reconstruire la forme de la Terre ? Sans doute. Ce repos n’est qu’apparent.

Supposez une bille qui roule sur le pont d’un vaisseau. Le vaisseau peut être guidé de façon que, pour un spectateur placé sur le rivage, la bille paraisse immobile. C’est en somme, à quelque différence près, le cas de notre pierre qui, venant à frapper le sol, s’arrête.

Pour rendre ceci clair, choisissons un autre exemple. Un astéroïde se meut dans l’espace, décrivant autour du Soleil une courbe sinueuse ressemblant d’abord en gros à une ellipse. Dans le cours de ses révolutions, il vient à passer assez près de la Terre pour que la forme de sa trajectoire se rapproche plus ou moins de celle d’une