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comme individus que comme espèces ; elles offrent un bel exemple de synthèse partielle des lois biologiques posées par les naturalistes français et étrangers depuis cinquante ans. C’est un répertoire de faits et d’idées éminemment instructif et suggestif au plus haut point. Quant à la théorie de l’individualité, elles lui apportent une contribution utile, en montrant, d’un bout à l’autre de l’échelle biologique, comment les éléments histologiques s’assemblent en masses définies et quelle est l’influence durable des groupements une fois formés sur les groupements ultérieurs. Mais, entrainé peut-être à son insu par des préjugés philosophiques, l’auteur a donné trop d’importance à ces unités secondaires dont sont formés les organismes supérieurs ; il y a vu des types presque invariables, leur a refusé la plasticité qu’ils gardent toujours, même lorsqu’ils ont une haute ancienneté, dans leur agrégation avec d’autres unités pour former des ensembles plus complexes, et, en fin de compte, il a laissé le problème posé plus obscur qu’il n’était dans les travaux des naturalistes évolutionnistes ses prédécesseurs. L’esprit est plus troublé au sujet du rôle de l’organe et de l’individu après la lecture de cet énorme volume qu’après celle des quelques pages que Giard à mises en tête de l’Anatomie comparée de Huxley. Il est plus simple en effet de regarder l’individu comme le produit du consensus organique arrivant à un certain degré d’unité sous l’action des circonstances que de le considérer comme un type morphologique préordonné, qui s’impose on ne sait comment aux masses vivantes sous l’empire de causes autres que celles qui font l’unité des organes, de causes transcendantes en un mot. Il est vrai que l’on sert la science aussi bien en posant des problèmes qu’en les résolvant ; mais il faut encore que les problèmes soient posés en termes clairs et que l’on ne présente pas comme des solutions définitives des théories grosses de débats ultérieurs.

Les embarras qu’a rencontrés M. Perrier, car il a cherché la vérité avec passion et non sans inquiétude, — son livre porte la trace du conflit de ses idées, — viennent de ce qu’il a abordé une grave question biologique dans des conditions intellectuelles qui ne sont pas les meilleures pour la recherche scientifique. Il y a au fond de ses conceptions un finalisme latent, une religiosité vague qui cherchent à s’accommoder avec les principes du déterminisme, c’est-à-dire avec la science même, et ne réussissent qu’à entraver l’essor de sa pensée sans se satisfaire eux-mêmes complètement. Cet évolutionnisme savamment adouci, cet ensemble de compromis laborieux entre l’action providentielle et le mécanisme, ce recours perpétuel à des principes multiples quand on pourrait se contenter de principes simples, ne constituent pas pour l’intelligence un équilibre stable.