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dépendance réciproque. Quand deux d’entre elles découvrent ainsi quelque connexion générale entre leurs objets, elles s’enrichissent d’un moyen d’explication nouveau, elles entrent en possession d’une clef par laquelle une vaste catégorie de problèmes, fermés jusqu’alors, seront rendus bientôt accessibles. Elles s’organisent l’une avec l’autre et se perfectionnent d’autant. On argumentera tant qu’on le voudra ; des deux parts, l’asimilation qu’on nous reproche est devenue une méthode féconde ; il suffit de lire les récents travaux de Hæckel et les œuvres de Huxley lui-même, bien que théoriquement hostile à ces vues, d’une part, et ceux de Spencer ou de Schæffle de l’autre, pour comprendre combien la vie de l’esprit s’est accrue dans le double domaine depuis l’apparition de cette idée. Et il ne faut pas dire non plus que l’on confond tout, que ce n’est pas assez de signaler les ressemblances, que les différences méritent à plus juste titre l’attention, parce que l’analyse est la science même ; ces inquiétudes, la méthode employée les apaise d’elle-même quand on voit que les sociétés comme organismes ne peuvent être étudiées avec quelque précision que si on les place à leur rang dans le vaste ensemble de phénomènes qu’ils couronnent, c’est-à-dire par delà les groupements qui relèvent de la biologie. On n’unit comme il faut les deux ordres de réalité qu’en distinguant les plus complexes des plus simples, c’est-à-dire en maintenant leur filiation et leur hiérarchie. Où est la limite ? dira-t-on. Les esprits restés sensibles à de tels arguments sont de moins en moins nombreux ; on s’aperçoit que nulle part il n’y a entre les choses de limite tranchée et que cependant les choses subsistent comme distinctes. Où commence la vague ? Et pourtant il y a des vagues. Où commence la science ? Et pourtant elle n’est pas l’ignorance ou la connaissance vulgaire. Où commence la sociologie ? il serait aussi imprudent d’essayer de le déterminer avec une entière rigueur, et pourtant on sait bien que la science sociale est une chose et la biologie une autre[1]. Ce sont’des difficultés qui déconcertaient les scolastiques. Beaucoup au contraire se réjouissent à l’heure qu’il est, quand on les invite à suivre des passages insensibles, là où ils s’étaient jusque-là heurtés à des démarcations abruptes.

M. Perrier met largement à profit, et d’une manière systématique, ces connexions entre la sociologie et la biologie. En maint endroit il y recourt[2]. Les lois de l’organisation sont pour lui les mêmes que celles

  1. Nous avons dit ailleurs que pour nous la sociologie commence au delà des associations par concrescence (physiologiques) où les éléments sont contigus (nous les avons appelés blastodèmes) et à partir du moment où paraissent les sociétés dues à l’accession d’individus primitivement séparés.
  2. Colonies animales, pp. 192, 143, 188, 215, 233, 668, 679, 705, 708, 719, 775.