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rieures qu’elle exige malgré les railleries que de spirituels critiques n’épargnent ni aux musicographes ni aux psychologues, cette partie de la philosophie de l’art n’a pas été absolument négligée dans notre temps parmi nous. On ne pouvait l’oublier tout à fait en ce pays où Rameau, J.-J. Rousseau, Grétry, Antoine Reicha, Choron et de La Fage, pour ne parler que des plus anciens, ont ouvert les voies de l’observation méthodique. Mais il faut arriver jusqu’à ces vingt dernières années pour rencontrer un traité complet sur la matière. Il est vrai que celui-là présente la plupart des caractères exigés le savoir technique, l’analyse philosophique, la clarté du raisonnement et de l’exposition. C’est en étudiant d’abord l’ouvrage intitulé La philosophie de la musique, par M. Charles Beauquier[1], que j’essayerai de constater à quel degré l’intelligence française a porté le développement de l’esthétique musicale et quels sont les progrès dont cette science est encore susceptible. Quoiqu’il date de quinze ans, ce traité a gardé la plus grande partie de la valeur qui lui a procuré le succès et qui le rendrait aujourd’hui digne de la réimpression. Je ne serai donc que juste en le prenant pour point de départ de mes présentes études. J’en rapprocherai les travaux les plus récents et, chemin faisant, je me réserve de traiter moi-même les questions qui me paraîtront avoir besoin d’être encore approfondies.

I

Dans une courte introduction, M. Ch. Beauquier avertit le lecteur de ce que n’est pas son livre et de ce qu’il est. Son ouvrage, dit-il, n’est pas un traité de théorie musicale au sens technique du mot ; ce n’est pas non plus un livre d’acoustique, fondé à la fois sur la physique du son et sur la physiologie de l’oreille ; encore bien moins est-ce une de ces esthétiques allemandes, lesquelles, à propos de musique, renferment un système complet sur la nature, sur l’homme et sur Dieu, et où l’être et le devenir, l’objectif et le subjectif se heurtent et se combattent dans la plus obscure mêlée. Qu’est-ce donc alors que ce petit volume ? La couverture le dit c’est une Philosophie de la musique ; et la couverture ne ment pas.

Dès les premières pages, on sent qu’on a affaire à un esprit philosophique. Quoique l’auteur se défende modestement d’être autre

  1. Paris, Germer Baillière, 1866. Sous le titre de La musique et le drame, étude d’esthétique, M. Ch. Beauquier a publié, en 1877, un autre ouvrage que j’examinerai quand j’en arriverai à la question des caractères psychologiques de l’opéra.