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à lancer une pierre aiguë, en lui faisant décrire un demi-cercle, contre l’objet que l’on veut modifier. Or la pensée humaine était déjà assez développée pour imaginer de faire agir cette pierre à une distance plus grande encore, et c’est ce que l’homme fit d’abord en lançant la hache avec son manche contre sa proie où son ennemi. Aujourd’hui encore, bien des peuples à demi civilisés conservent cette manière de chasser ou de combattre. Le principe de l’action à distance était trouvé, et la contraction d’instruments plus spécialement propres à être lancés, ou d’armes proprement dites, était dès lors possible.

Tel est dans son ensemble et dans ses parties principales l’ouvrage remarquable de M. Noiré. Il appartient aux hommes spéciaux d’apprécier scientifiquement la partie technique de l’ouvrage, qui semble riche en idées nouvelles et ingénieuses. Quant à la partie philosophique, qui forme le fond de l’œuvre et qui en fait peut-être le principal intérêt, elle nous semble compléter fort heureusement la tentative déjà commencée par M. Noiré, dans son livre sur l’origine du langage, d’une explication pour ainsi dire évolutionniste de l’origine et des premiers développements de la raison. Et notons bien, à ce propos, que cette explication n’est nullement positiviste à la manière anglaise. Elle nous semble au contraire fort concilliable avec la théorie kantienne, qui fait de toute connaissance humaine un produit de deux facteurs, les données des sens et le travail actif de la pensée qui les élabore. La pensée, en tant que fonction active, n’est nullement un produit de l’expérience sensible ; mais cette expérience doit satisfaire à certaines conditions, la conscience, autrement dit, doit avoir atteint un certain développement pour que la pensée puisse se dégager, réagir sur la partie phénoménale de la connaissance, et constituer en s’y appliquant l’expérience proprement dite. Or ce, sont ces conditions, c’est ce développement nécessaire au dégagement de la raison que M. Noiré a voulu étudier, et il l’a fait, ce nous semble, avec le meilleur esprit critique et philosophique.

H. Lachelier.

A. Bastian. — Der Völkergedanke im Aufbau einer Wissenschaft vom Menschen. Berlin, chez Ferd. Dümmler (Harrwitz u. Gossmann). 1881. — Die Vorgeschichte der Ethnologie, 1881, par le même ; même éditeur. — Beiträge zur vergleichenden Psychologie. Die Seele und ihre Erscheinungsweisen in der Ethnographie, par le même, 1868 ; même éditeur.

De ces trois ouvrages, celui que nous citons le premier est le dernier paru, car la préface est de septembre 1881. Ce livre ou plutôt cette brochure (184 pages) finit par un discours prononcé à la réunion des géographes à Berlin. Là, nous entendons un appel pressant aux ethnologistes pour faire tout ce qui est en leur pouvoir, pendant qu’il en est