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y voir plus clair que les anciens. Mais la question de la liberté, agitée dès le début de la pensée, n’a pas depuis lors avancé d’un pas, et l’histoire monotone des avortements de toutes les tentatives faites pour l’éclaircir est bien de nature à nous inspirer la plus légitime défiance de nous-mêmes.

Cependant, quelle que soit la réponse que nous dicte la spéculation, nous nous surprenons sans cesse à nous conduire et à nous exprimer comme si nous étions libres.

C’est là un fait, et un fait indéniable. Il est tellement significatif que les partisans du libre arbitre l’opposent constamment avec la plus grande confiance aux raisonnements de leurs contradicteurs. Les déterministes, d’autre part, en font bon marché, entraînés qu’ils sont par une argumentation purement logique dont l’origine est dans l’expérience extérieure. Car, d’après leur manière de voir, les principes de causalité et de la raison suffisante sont de simples généralisations des faits observés.

Si, pour juger le débat, nous nous plaçons en dehors de toute idée préconçue, que voyons-nous ? Chacune des deux armées se renfermer dans une place forte qu’elle regarde comme inexpugnable, porter des défis que l’autre se garde de relever, mais ne pas essayer de faire de siège en règle. Dans ces conditions, la lutte — ou plutôt la dispute — doit fatalement s’éterniser, et c’est ce qui arrive.

Je me propose de changer cette tactique, de poursuivre le déterminisme jusque dans ses retranchements et de lui livrer sur son propre terrain un combat corps à corps. Mais, auparavant, il est bon d’examiner rapidement la situation respective des deux partis et les armes dont ils disposent. Pour qu’il n’y ait pas de malentendu, je préviens tout d’abord le lecteur que, quand je parle uniquement de l’homme, ce n’est pas que, dans ma pensée, les animaux ne participent aussi à la liberté ; mais ce point spécial peut, pour le moment, être laissé de côté. Au surplus, la notion de liberté, se puisant directement dans notre propre conscience, ce n’est que par un raisonnement d’analogie que nous pouvons reconnaître le même attribut à nos « frères inférieurs ». L’important est donc de démontrer d’abord que nous le possédons.

Avant de faire cette preuve, il convient d’exposer les données du problème. Ce sera l’objet du présent article après quoi nous établirons l’existence de la liberté. En dernier lieu, nous traiterons de son rôle dans l’univers.