Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 13.djvu/454

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
450
revue philosophique

me reconnaitrais pas de compétence), mais bien de découvrir la raison intime du langage de la poésie.

Cependant, comme après tantôt vingt ans, je n’ai pas eu le bonheur : de rencontrer dans mes lectures une explication du fait qui me paraisse plus vraie (et les paroles de M. Lévêque, que j’ai citées ci-dessus, me font croire que cela ne dépend pas de mon manque d’information, mais qu’il en est réellement ainsi), j’ai cru qu’il ne serait peut-être pas désagréable aux lecteurs de la Revue, et à M. Lévêque lui-même, si je reproduisais le passage de ma brochure en le traduisant de mon mieux en français, et en vous l’envoyant pour être inséré, si vous le voulez bien, dans la Revue.

J’ai l’honneur, etc.

F. Bonatelli,
Professeur ordinaire de philosophie à l’université de Padoue.
Padoue, 1er mars 1882.

Alfred. — Nous avons rappelé, il y a peu de temps, ces analogies ou affinités indescriptibles, que l’âme exempte de préjugés aperçoit entre des intuitions de nature tout à fait différente, entre des sons et des couleurs, entre des sensations du toucher et d’autres sens, et ainsi de suite.

Ceci n’est certes pas une explication, ce n’est que l’observation d’un fait ; mais cependant il faut noter que l’on peut réduire à cette catégorie toutes ces affinités secrètes entre des sentiments et des représentations différentes, qui servent de fondement non seulement à la poésie et à l’art en général, mais encore au langage, aux gestes, aux cérémonies religieuses et civiles, en un mot partout où il y a différence entre un signe et une chose signifiée. Et en cela il n’importe guère qu’il y ait du conventionel.

Ensuite il faut observer que dans toute impression exercée sur nous on peut distinguer deux éléments : son contenu (qui n’est autre que l’ensemble de ce qu’elle offre à notre perception) et de plus le ton, ou, si vous le préférez, le coloris, qui l’accompagne, ce qui consiste dans la manière spéciale d’être affecté par elle, dans une disposition particulière qu’elle met dans notre âme et qui est reçue en nous non seulement comme un effet de l’impression, mais plutôt comme quelque chose d’inhérent à la qualité perçue.

Une conséquence de ce fait est que deux sensations de nature très différente peuvent être égales ou semblables par rapport à cette propriété indéfinissable, que nous avons appelé le ton. En ce cas et en vertu de cet élément commun, elles formeront dans notre âme un tout inséparable, et, lorsque l’une d’elles se présentera dans la conscience,