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ANALYSES. — VICTOR EGGER. La parole intérieure.

encore en plus vive lumière dans le dernier chapitre, le plus remarquable, à notre sens, du livre de M. Egger.

Qu’est-ce d’abord que la pensée ? L’auteur refuse de la considérer comme une entité mystérieuse qui serait cachée derrière les images qui l’expriment ; la pensée pour lui, ce sont les pensées, et les pensées ne sont que des groupes d’images. Or la parole intérieure est à la fais une image et un signe ; quel rapport y a-t-il entre l’image signe et les images signifiées, qui seules sont, à vrai dire, les pensées ? Puis, pourquoi est-ce à l’image sonore, à l’exclusion des autres, qu’est dévolue la fonction d’être un signe ?

Trois cas peuvent se présenter, Ou bien l’image signe fait elle-même partie intégrante du groupe signifié, par exemple si l’on désigne le cheval par un son imitant le hennissement : c’est l’onomatopée. Ou bien, faisant partie de ce groupe, elle n’en est pas un élément essentiel et constitutif ; elle est un caractère accessoire, par exemple si l’on désigne par le mot huppe un oiseau qui est avant tout une forme gracieuse et un plumage brillant, surtout si l’on appelle houppe un objet fabriqué de main d’homme, qui ressemble à l’aigrette de l’oiseau : c’est la métaphore. Ou bien enfin elle ne présente aucune analogie avec le groupe signifié ; elle lui est complètement étrangère et hétérogène ; ainsi le son cheval ne ressemble en rien à l’être qu’il désigne : c’est le signe arbitraire.

Historiquement, on peut montrer que le langage passe naturellement par ces trois phases. Psychologiquement, il est aisé de voir que la troisième forme est la plus parfaite.

Les signes analogiques (onomatopée et métaphore) ont un grave défaut : chargés d’évoquer dans l’esprit l’idée qui est générale et enveloppe une multiplicité d’éléments, ils la particularisent ou la mutilent. Ils la particularisent si l’on considère l’idée au point de vue de l’extension ; une image, quoi qu’on fasse, est toujours particulière ; le hennissement que j’imite ne saurait être le hennissement en général ; il n’est pas même une moyenne ; il est nécessairement déterminé et particulier, il me fera penser à un cheval, non au cheval. Ils mutilent l’idée si on la considère au point de vue de la compréhension ; en effet, par le fait de l’institution du signe, un élément qui n’est point par lui-même plus important que les autres prend une importance exagérée : il sort des rangs, se met en vue et, accaparant indûment l’attention, dérobe aux autres la part qui leur revient ; le cheval ne sera plus qu’un être qui hennit, tandis qu’il doit être tout autre chose.

Ces inconvénients sont évités avec le langage arbitraire. Précisément parce qu’il est hétérogène aux qualités qu’il exprime, le mot arbitraire n’en favorise-aucune : il les évoque toutes également ; il est indifférent, impartial ; il n’y a plus de privilèges. Son impartialité fait sa valeur, pour des raisons analogues à celles qui ont fait choisir la ville de Washington pour capitale des États-Unis. Outre ce caractère, qui constitue le signe parfait, l’impartialité, il faut signaler l’indépendance, qui est le carac-