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ANALYSES. — VICTOR EGGER. La parole intérieure.

inobservable. En fin de compte, il sera vrai de dire que la suppression de l’image tactile est un effet de l’habitude ; le lien très réel qui l’unit à l’élément sonore peut être brisé ; c’est une association séparable et contingente.

Il reste à signaler une dernière différence ; ici, nous rencontrons une théorie importante, un peu compliquée, très originale : l’auteur, dépassant les limites un peu étroites de son sujet, essaye de résoudre une difficile question de psychologie générale ; il ne s’agit de rien moins que d’une théorie nouvelle de la perception extérieure.

Les caractères attribués jusqu’ici à la parole intérieure étaient intrinsèques ; mais quand nous disons que la parole est intérieure, ce n’est plus une qualité possédée par le phénomène et immédiatement donnée avec lui que nous constatons : c’est un jugement que nous portons sur lui. Comment expliquer ce jugement ?

À vrai dire, et c’est là une des vues les plus ingénieuses de M. Egger, ce qu’il faut expliquer, ce n’est pas que la parole paraisse en certains cas intérieure, c’est qu’elle ne le paraisse pas toujours. Il n’y a pas à proprement parler de perception interne, ou du moins la perception interne n’est que l’absence, la privation de la perception externe.

En effet, les choses ne sont connues de nous que par les états de conscience qui les représentent : c’est une vérité que peu de philosophes contestent aujourd’hui. Il est vrai que, parmi ces états de conscience, les uns sont considérés comme subjectifs : ils appartiennent au moi ; nous les gardons pour nous. Les autres sont projetés au dehors, aliénés d’avec nous ; ils forment le non-moi ou le monde extérieur. Mais cette distinction, que l’habitude nous a rendue familière, n’est pas primitive, À l’origine, l’esprit est idéaliste ; il ne connaît qu’un être dont il saisit confusément l’unité en même temps que la diversité, et cet être, c’est lui-même. Puis peu à peu il apprend à tracer une ligne de démarcation entre ses états, gardant les uns, projetant les autres au dehors. — Il faut bien entendre que par ces mots : dehors, externe, extérieur, on ne veut rien désigner ici qui appartienne à la catégorie de l’étendue, mais seulement la différence du moi et du non-moi. Pour éviter l’équivoque attachée à ces mots, M. Egger aurait volontiers employé le mot non-moitié ; il ne l’a risqué qu’en note : plusieurs lui en sauront gré. — Par suite, les faits de conscience, en eux-mêmes et à l’état de nature, sont internes ; ils deviennent externes en certains cas. Tout ce qui n’est pas déclaré externe par un jugement spécial est interne. On voit comment le problème s’est modifié : il ne s’agit plus que d’expliquer pourquoi la parole intérieure n’est pas jugée externe. — Expliquons d’abord pourquoi la parole d’autrui, puis notre propre parole sont jugées extérieures.

Pourquoi en général certains états sont-ils déclarés extérieurs ? La première réponse qui s’offre à l’esprit est que ces états sont ceux qui sont donnés comme étendus. Cette explication, suivant notre auteur, peut être valable pour les sensations visuelles et tactiles : il admet