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CH. SECRÉTAN. — du principe de la morale

sur la terre. Mais, tendant à l’unité dans la liberté, par la liberté, la charité concrète, la charité de l’être raisonnable, qui conçoit le monde tel qu’il est et cherche à dégager sa vérité des fantômes, n’agit que par l’exemple et la persuasion.

XVI

La justice.

Le moment de finir approche. Quelques-uns des principes discutés, l’intérêt surtout, se présentent sous plusieurs formes, qu’on peut envisager comme autant de morales distinctes. Pour établir leur identité foncière, il faudrait d’abord les classer ; on y renonce. On néglige également les morales qui n’en sont pas. Ce n’est point une critique des systèmes proposés que nous avons essayée, ni l’ébauche d’une critique pareille ; nous n’avons voulu que justifier notre point de vue en l’appliquant à quelques exemples propres à l’illustration de la méthode. Il nous reste à l’éprouver sur une dernière idée : la justice.

Ici, la plume s’arrête, la main tremble. Devant nous s’élève ce qu’il y a de plus respectable et de plus grand dans l’univers. Et les prêtres de ce sanctuaire, les champions de cette suprême beauté, ce sont les maîtres dont nous tenons tout ; ce sont, parmi les contemporains, les esprits avec lesquels nous nous sentons le plus fortement en communion, ceux dont nous ambitionnons la sympathie, et derrière lesquels nous ne demanderions qu’à nous ranger. Nous attaquerons-nous à ces amis ? Voulons-nous amoindrir ces ancêtres ? Allons-nous descendre la justice de son piédestal ? Celui qui médit de la justice a prononcé sa propre sentence. Mais il ne s’agit point d’abaisser la justice ; il s’agit d’expliquer qu’on la défigure en la représentant les yeux couverts d’un bandeau. Rien n’est parfait dans l’œuvre humaine. On n’amoindrit pas un édifice assez vaste pour abriter le monde, en y changeant la disposition de quelques détails. Et la communion des esprits exige qu’ils soient absolument transparents les uns pour les autres. Nous répéterons donc ici qu’une morale purement subjective ne saurait aboutir ; et, surmontant nos scrupules, nos répugnances, nos craintes mêmes, nous essayerons d’établir que dans l’abstraction de son idée, la justice demeure un principe insuffisant ; tandis que, éclairée et fécondée par l’expérience qui nous fait voir l’unité du monde dans la solidarité de ses organes