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CH. SECRÉTAN. — du principe de la morale

-même, ni dans les applaudissements de la foule, ou dans le sourire approbateur d’un dilettantisme précieux ; mais dans la somme des services par nous rendus et dans notre capacité d’en rendre encore.

XV

La charité.

Le principe de la charité ne fait point exception à la loi que nous avons constatée. Comme celui de l’intérêt personnel, comme celui du perfectionnement, auxquels, dans l’abstraction, il semble opposé, tandis que, bien compris, il se confond avec eux ; il a besoin de s’appuyer sur une idée juste de l’homme et du monde.

On a voulu fonder la morale de l’amour sur le penchant naturel qui nous y porte. Nous savons déjà combien cette déduction est illusoire. Un tel penchant existe, et il n’existe pas seul. Qu’est-ce qui le rend préférable aux autres ? Est-ce une jouissance supérieure qu’il procurerait à celui qui s’y livre ? Dans ce cas, nous ne sortons pas de la morale du plaisir : l’altruisme devient une variété de l’égoïsme à l’usage de certains caractères, peut-être exceptionnels. Une suffisante expérience peut seule m’instruire de ce bonheur ; et je n’ai point de raison pour tenter l’épreuve si mon goût personnel ne m’y porte pas. Sur un tel fondement, on ne peut rien asseoir qui possède une valeur universelle.

Préconise-t-on la bienveillance au nom de l’intérêt social ? Il n’est point prouvé par l’expérience que mon propre avantage se confonde toujours et nécessairement avec cet intérêt. Je n’ai personnellement aucune raison de me consacrer au bien de l’humanité, à moins que le dévouement ne soit mon devoir.

C’est là précisément ce qu’on affirme, en invoquant le témoignage de ma conscience. Ce témoignage, je crois l’entendre. Nous arrivons à la véritable question : la charité, le dévouement, l’altruisme, est-ce le devoir ? tout le devoir ? Eh ! bien, il est permis d’en douter. Répétons d’abord que cette thèse pratique est absolument incompatible avec la théorie de l’individualisme exclusif. Pour hésiter un moment là-dessus, il faudrait être étranger au besoin de conséquence dans les jugements. On ne saurait trop le redire : assigner pour but aux volontés l’union, et la charité pour loi, tout en posant comme principe la séparation des natures et l’indépendance des destinées,