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CH. SECRÉTAN. — du principe de la morale

plus à contester la solidarité des intérêts ; et les phénomènes qui semblent la contredire nous apparaîtront à leur tour comme des accidents ou des illusions. Alors il deviendra possible d’ériger sans inconvénient l’intérêt personnel en principe de la morale. Alors l’amour de soi pourra s’établir sans limitation, sans négation, comme font tous les principes vrais. Il ne limitera, il ne contredira ni la charité ni la justice, pas plus que la justice et la charité bien entendues ne se contredisent et ne se limitent réciproquement. L’amour de soi, l’intérêt personnel, la charité se présenteront au contraire comme les trois formes et le triple aspect d’une seule et même volonté : Nous ne pouvons nous aimer véritablement qu’en aimant les autres ; parce que nous ne pouvons nous réaliser que les uns dans les autres. Et nous ne pouvons nous pénétrer de la sorte qu’en nous affirmant réciproquement, et par conséquent en nous respectant les uns les autres. La communion des volontés, sans laquelle l’aspiration personnelle de l’individu reste inassouvie et son bonheur impossible, repose nécessairement sur la liberté de tous.

XIV

Le perfectionnement individuel.

À l’individualisme sensationniste correspond naturellement la morale du plaisir, et celle du perfectionnement individuel à la monade. Le perfectionnement tient de près au devoir, puisqu’il implique nécessairement un idéal, soit que celui-ci se produise spontanément dans la pensée, soit qu’il naisse de l’expérience et de la comparaison des résultats obtenus, ou enfin qu’un besoin de progrès d’abord inconscient et vague se précise et se détermine au cours de la vie, ce qui s’entendrait plus aisément. Un idéal que la raison nous porte à réaliser est évidemment l’objet d’un devoir ; mais, circonscrite à l’individu, la fin d’un tel devoir ne peut guère apparaître que sous la forme d’une satisfaction. Et, en effet, on a vu l’école qui avait fait du perfectionnement l’idée maîtresse de son éthique[1], tourner complètement à l’utilitarisme sentimental vers la fin du siècle passé. D’ailleurs, s’il n’y a rien au-dessus de l’individu, la logique veut que l’idéal soit individuel lui-même, non pas individuel par certains côtés et commun par les autres, car sans la réalité de l’espèce cette com-

  1. Celle de Wolf.