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que la priorité accordée à l’étude de l’un de ces faits implique en faveur d’une théorie spéciale une sorte de préjugé.

L’esprit souffle où il veut : l’inconscient ne livre pas ses secrets. L’inspiration tombe sur un privilégié ; une grande idée possède l’élu, le tourmente, le pousse… Que l’occasion soit favorable, il crée, et son inspiration, manifestée aux autres hommes par une œuvre guerrière ou artistique ou religieuse, devient génie. C’est assez que ce génie soit connu, que ses créations, mises à l’épreuve, aient résisté un temps plus ou moins long soit à des attaques matérielles, soit aux efforts de la critique ; celui en qui il est apparu prend place parmi les grands hommes. Une idée venue du dehors et d’en haut, divinitus, une révélation, une inspiration, voilà ce qui lui a donné la vertu créatrice, l’a élevé au-dessus des autres hommes, l’a fait paraître et l’a fait en réalité plus grand qu’eux. C’est donc l’inspiration qu’il faut étudier tout d’abord peur avoir le secret de ces existences supérieures : voilà une première méthode.

En voici une autre. Les générations qui se succèdent sur la terre mettent au monde des êtres inégaux, dont les uns, par la seule vertu de leur organisation native, sont plus vigoureux, plus actifs, plus intelligents, plus capables d’enchainer leurs idées ou de conduire les autres hommes, tandis que le reste paraît fait pour vivre dans la médiocrité et dans l’obéissance, Comme les vagues de la mer montent et descendent, se réunissent en masse et se divisent, comme les capitaux dans la société se dispersent et s’accumulent, ainsi, par des unions dont le choix bon ou mauvais n’est pas toujours le fait du hasard, les aptitudes que donne l’organisation s’afaiblissent, se réduisent, s’annulent ; ou bien, s’ajoutant les unes aux autres, elles se développent et se multiplient ; puis arrivées, par des combinaisons heureuses, à un certain degré d’énergie et de force d’expansion, elles produisent au dehors des effets prépärés longuement dans l’obscurité et dans le silence, mais qui éclatent tout à coup aux yeux des autres hommes, les éblouissent ou les captivent ; le grand homme est né ! Cet homme agit ; c’est dire que, dans un ordre où dans un autre, selon la nature spéciale de ses goûts et selon le milieu qui lui est fait, il crée. Lorsque dans une circonstance plus importante, devant une difficulté scientifique, politique ou autre, son génie voit plus promptement et plus nettement que l’intelligence commune, et conforme son action à ses idées, c’est alors qu’on le juge inspiré. L’inspiration n’est ainsi que l’un des effets les plus saillants du génie, et le génie lui-même n’est que le résultat de cette lente accumulation d’où le grand homme un jour est sorti avec toutes ses facultés et toutes ses aptitudes. C’est donc par l’étude des actions héréditaires