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Un autre point que M. Pollock fait ressortir en rapport avec celui-là, c’est que la vérité n’est pas pour Spinoza la correspondance du concept avec un objet extérieur, mais le résultat de l’élaboration normale faite par l’esprit d’éléments fournis par la conception claire et distincte. La connaissance comprise comme une activité de l’esprit est aux yeux de M. Pollock, une des pierres angulaires de la psychologie de Spinoza, ainsi que la distinction de l’imagination et de l’entendement, et la théorie des aides de l’imagination. M. Pollock insiste beaucoup’sur ce dernier trait, par lequel Spinoza semble confiner au kantisme. Notons encore sa discussion sur les choses éternelles du De emendatione, identique, selon lui, aux modes infinis de l’Éthique.

Au chapitre V, nous signalerons l’importante remarque que Spinoza subit nécessairement la terminologie scolastique, même lorsqu’il exprime des idées bien modernes, comme celle de l’unité et de l’uniformité de la nature, et qu’il peut en avoir été dupe jusqu’à un certain point, en ce sens qu’il n’aurait pas senti tout à fait combien étaient en réalité nouvelles les idées qu’il mettait sous ces vieux mots en croyant seulement les ramener à leur véritable sens, On ne saurait, pense M. Pollock, exagérer le caractère scientifique et moderne du spinozisme, la place qu’y tiennent les idées et les préoccupations de la science, et, quand il a été mal compris, la cause en était sans doute dans le défaut de culture ou de tempérament scientifique chez ses interprètes.

Parmi ces vieux mots auxquels Spinoza donne un sens nouveau, il faut ranger ceux de cause et d’effet ; ils ne répondent plus pour lui, suivant M. Pollock, à rien de réel, d’objectif, et l’idée de cause n’est plus qu’une aide, Kant dirait une forme de l’imagination. Ce qui le prouve, c’est que la causalité ne compte pas au nombre des choses éternelles et infinies. S’il en est ainsi, bien des théorèmes de l’Éthique, au premier livre surtout, prennent un aspect inattendu.

Le chapitre se termine par une brillante exposition de la théorie des attributs en nombre infini, et par une interprétation de cette théorie, qui est peut-être le morceau capital du livre, tant à cause de l’importance de la question que de la façon originale dont elle est traitée par M. Pollock.

À ses yeux, une pente irrésistible portait Spinoza vers l’idéalisme, qui enferme toute réalité dans les limites de la pensée, c’est-à-dire de l’expérience nécessairement finie, et supprime l’infinité objective. C’est pour échapper à cette pente qu’il imagine, mais en vain, sa théorie des attributs, et s’efforce de conquérir de nouveaux mondes au delà des limites inexorables de l’expérience.

Le chapitre sur le Corps et l’âme présente un intérêt particulier d’actualité : il nous montre dans Spinoza le véritable fondateur de la psychologie physiologique et de la théorie de l’association. Les documents sur ces deux points ont une netteté qui ne laisse place à aucun doute. Mais la conception psychologique de Spinoza emprunte un