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Ce n’est pas moi qui dis que la clarinette est une voix féminine ; c’est M. L. Pillaut, et j’en prends acte. C’est encore M. L. Pillaut qui reconnaît très justement à cette voix l’accent d’une sentimentalité plus moderne quantique, poussant en cela l’observation psychologique jusqu’à distinguer, dans le sentiment, les nuances qu’y crée la différence des époques et des civilisations. Toutefois, il ne confond pas la clarinette soprano avec la clarinette basse, dont les notes sont, d’après lui, vibrantes et mystérieuses. Vibrantes, cela saute aux oreilles ; mais pourquoi, en quoi mystérieuses ? Un exemple admirable va le faire comprendre et sentir. « La clarinette basse, perfectionnée par Adolphe Sax, a servi à Meyerbeer dans le trio du cinquième acte des Huguenots, où sa voix austère et solennelle répond au récit de Marcel[1]. » Je ne puis que souscrire à ce jugement. Qu’il me soit permis cependant d’y joindre mon impression personnelle. À cet instant d’un pathétique sublime, Marcel se revêt lui-même de la dignité sacerdotale. Il parle en ministre d’en haut ; sa voix est un peu plus qu’humaine : non mortale sonans :

Avez-vous dépouillé toute flamme mortelle,
Tout espoir d’ici-bas, et la foi dans vos cœurs
{{{1}}}Seule subsiste-t-elle ?

La clarinette fait écho à cette voix de croyant qui « consacre et bénit le festin des adieux — et des noces funèbres » — et qui lui-même à déjà presque quitté cette vie. Eh bien, il m’a toujours semblé, par une illusion jugée telle, mais pourtant irrésistible, que la voix de l’instrument n’était autre que celle de Marcel se répétant elle-même entre ciel et terre, dans l’intermonde.

Comme les précédents, les instruments à vent, mais sans anche, sont encore caractérisés psychologiquement à titre de voix. Ecoutons la trompette, en oubliant tout à fait son antiquité et sa longue histoire. Nous serons de l’avis de ceux qui jugent que les instruments modernes dont la forme est celle de la tuba ductilis ont le timbre d’autant plus musical, clair, strident et impérieux que le tube en est plus étroit et plus cylindrique. Le mot impérieux est bien trouvé : la trompette est une voix qui appelle, excite et surtout commande. C’est encore parler exactement que de nommer dominateur le son qu’elle fait retentir. Il a de la noblesse, s’il ne monte pas à l’aigu. Hændel a donné aux trompettes, dans le Messie, un accent héroïque et triomphal. Meyerbeer en a tiré de merveilleux effets. « Rappelons, dans le cinquième acte des Huguenots, le chœur : Abjurez,

  1. L. Pillaut, ouvrage cité, page 52.