Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 13.djvu/269

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
265
CH. LÉVÊQUE. — l’esthétique musicale en france

sions morales qui se rapportent bien à certaines voix, surtout aux voix campagnardes ; et puis « leur son rude convenait admirablement aux danses paysannes qui retentissent sous la feuillée[1] ». Voilà des raisons, et de bonnes. Pour moi, j’aimerais approfondir encore et, à cet effet, consulter l’expérience.

Choisissons un air champêtre, très champêtre et très connu, par exemple celui sur lequel, dans mon pays et dans plusieurs départements de la France, les gardeuses de moutons chantent les paroles suivantes :

Rossignolet du bois,
Rossignolet sauvage,
Apprends moi le langage,
Comment-il faut parler ;
Apprends moi la manière,
Comment-il faut aimer.

« La rime n’est pas riche, et le tour en est vieux, » comme le dit Alceste, dans le Misanthrope, de la chanson du roi Henri. L’expérience n’en sera que plus instructive. Faisons jouer l’air par un violon : il y manquera un élément notable de son caractère. Essayons avec la flûte : ce sera trop doux et ne portera pas assez loin. Arrivons enfin au hautbois : pour le coup, ce sera, non pas la voix de la pastoure, mais certes son meilleur équivalent musical et vocal. Nous n’aurons plus les paroles, sans doute ; nous aurons l’accent nasillard que les gens incultes prennent si aisément ; nous aurons la simplicité du son, la rudesse qui se prête peu aux nuances que les paysans n’observent pas ; enfin nous aurons le mordant et l’éclat un peu criard des voix de plein vent :

Hinc alta sub rupe canet frondator ad auras.

(Virgile, 1re Eglogue.)

Cette résonance bien vibrante au grand air et dans l’espace libre a fait employer le hautbois comme instrument militaire, surtout pour l’infanterie, aux xvie siècle et xviie siècle, et dans notre temps M. L. Pillaut regrette que cette voix brillante ne s’associe plus à celle des cuivres, en tête de nos régiments. Ce regret est-il fondé ? Aujourd’hui, chaque musique d’infanterie doit avoir deux haut-bois[2].

  1. Instruments et musiciens, par L. Pillaut, page 23.
  2. Léon Pillaut, ouvragé cité, page 42. Voici ce que dit sur ce point M. J. Weber : « Dans l’organisation adoptée par une commission spéciale en 1845, il n’y avait pas de hautbois ; il y en avait deux dans l’organisation proposée par Sax et adoptée en 1854 ; lorsqu’en 1860 les musiques d’infanterie furent