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s’entr’ouvrant rapidement, produisent un son, et la chambre résonnante de la bouche ne fait qu’enfler les notes chantées par le larynx. L’anche du larynx, jouissant d’une merveilleuse contractilité, a sur celle des instruments ordinaires, le privilège de pouvoir donner une immense variété de sons. Le mouvement discontinu de l’anche, qui ferme et ouvre alternativement le passage de l’air, se prête d’une façon toute spéciale au développement des harmoniques… Dans une belle voix humaine, il y a une richesse d’harmoniques incroyable. Il faut donc considérer l’instrument de la voix humaine comme une anche à note variable, complétée par un résonnateur à résonance variable. La glotte est l’anche, la bouche le résonnateur. Il est impossible d’imaginer une appareil plus ingénieux, qui montre mieux à quel point les œuvres de la vie dépassent et humilient toujours celles de l’industrie humaine[1]. »

Arrêtons là cette citation, quoique à regret. Elle suffit pour le moment. Non point en manière de parler, non point pour ainsi dire, mais bien en réalité, au sens matériel, physique, la vois humaine est le premier, le plus ancien, le plus parfait des instruments de musique ; et l’artiste qui l’a fabriqué est le premier des luthiers. Si cette voix est un instrument, et cela à la lettre, pourquoi les autres instruments ne seraient-ils donc pas, et à la lettre, chacun une voix ?

Nos récents esthéticiens acceptent cette réciproque ; ils l’affirment, ils en déduisent toutes les conséquences qu’elle renferme. « C’est le timbre, dit M. Ch. Beauquier, qui forme le caractère des instruments, leur personnalité, qui fait autant de voix distinctes de toutes les voix qui chantent dans un orchestre, et donne à chaque acteur de ce drame musical un type particulier. » — « Dans cette petite troupe qui forme un orchestre, écrit-il ailleurs, chaque personnage doit avoir son rôle[2]. » Quand le compositeur rassemble ces personnages, dont « chacun a sa physionomie spéciale », il faut qu’il mette en présence « les voix élevées avec les basses et qu’il oppose les uns aux autres des timbres bien tranchés[3] ». M. Léon Pillaut exprime la même pensée en termes non moins explicites. « Un instrument de musique, dit-il, est un personnage, un être sonore, dont le caractère distinctif et original réside dans un son musical facilement reconnaissable, qui est comme sa voix propre et qu’on appelle son timbre[4]. » Et deux pages plus loin : « On peut compa-

  1. La vois, l’oreille et la musique, pages 52, 53.
  2. Ch. Beauquier, Philosophie de la musique, pages 16 et 176.
  3. Même ouvrage, page 179.
  4. Instruments et musiciens, page 3.