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VERNES. — de l’idée religieuse

même divinité et dont celle-ci éprouve le bénéfice moyennant un acquiescement soumis à des formes particulières, on ne contestera guère, dis-je, que la double conception de l’hétéronomie et de l’hétérosotérie ne répugne à la pensée moderne. Quand donc on vient prononcer devant nous le mot d’immanence et qu’on nous demande de nous représenter le divin comme dirigeant d’une part la marche du monde, de l’autre se manifestant et agissant en chaque individu, il est bien clair que cette conception du « rapport religieux », c’est-à-dire de la relation de l’homme avec Dieu, semblera beaucoup plus adaptée à notre cercle général d’idées qu’un naturalisme encore puéril ou un dualisme théiste insupportable à la réflexion. Tous ceux auxquels M. de Hartmann vantera son « monisme concret » l’accueilleront, sinon avec une sympathie marquée, au moins avec déférence, comme répondant à l’idée religieuse telle que les hommes éclairés du xixe siècle la peuvent concevoir, mieux que les deux grandes formes antérieures.

Seulement on ne manquera pas de remarquer que ces propositions ne sont, à la vérité, ni fort neuves ni originales, et que, sauf la note particulière que M. de Hartmann leur a donnée en mettant en lumière le côté pessimiste de l’existence, — ce que notre analyse a dû trop négliger, — ce sont des constatations vieillies de près d’un siècle. Ce n’est point non plus pour rééditer ce que d’autres avaient dit, tût-ce en y joignant l’appareil d’une érudition toute contemporaine, que M. de Hartmann a pris la plume.

Non ; l’éminent auteur de la Philosophie de l’Inconscient est un inventeur, et il nous fait part, preuves à l’appui, d’une découverte capitale. Sur les ruines qui jonchent les points du chemin où l’humanité a fait halte, ses prédécesseurs ont sans doute entrepris le curieux et instructif travail de restitution qui nous remet en face des idées, des croyances, des rites des générations et les peuples disparus, mais nul n’a remarqué que ce chemin gravissait une montagne et que chaque étape indiquait un progrès, que les points d’arrêt n’étaient pas marqués au hasard de la route ou des circonstances, mais désignaient les divers moments d’une ascension lente et régulière, d’une évolution progressive soumise aux lois d’une nécessité interne, ou, si l’on veut, d’une direction providentielle, selon l’expression employée par l’auteur en ses dernières pages.

Cette montagne est la véritable montagne des dieux, qui hanta de si beaux rêves l’imagination orientale. L’humanité a entrepris de l’escalader. Si elle se guinde péniblement sur ces flancs abrupts, chaque effort n’en marque pas moins un progrès. La troupe des assiégeants se divise souvent en deux groupes, l’un tournant à droite,