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VERNES. — de l’idée religieuse

et par le christianisme nous entrons dans l’étude de la civilisation dont nous sommes membres nous-mêmes.

On voit d’emblée que le principe de ce classement ne pouvant être ni ethnographique, ni chronologique, est puisé dans des raisons d’un autre ordre, disons le mot, qu’il est dominé par une pensée philosophique ou théologique. Si M. de Hartmann débute par l’hellénisme, le romisme et le germanisme qui nous ramènent immédiatement aux environs de l’ère chrétienne, c’est que ces trois religions représentent pour lui le premier degré de l’échelle dont il veut nous faire gravir avec lui les marches, à savoir la phase de la spiritualisation anthropoide de l’hénothéisme avec une triple tendance esthétique, utilitaire et tragique, tandis que l’égyptisme et le parsisme (abstraction faite de leur date et des conditions de leur croissance) nous mènent plus haut et plus loin, à savoir nous font assister à la systématisation théologique de ce même hénothéisme, l’un dans son monisme naturaliste, l’autre dans son semi-naturalisme, qui est l’aube d’un nouveau jour.

Ces différentes religions se classent, en effet, sous la rubrique du naturalisme. Celles qui suivent indiquent la période où l’homme, ayant affranchi la divinité de ses attaches matérielles, s’élève aux conceptions plus hautes du supranaturalisme[1]. Le monisme abstrait trouve des représentants dans les religions de l’Inde, le théisme dans l’évolution religieuse du peuple juif, puis dans le christianisme, suprême terme actuel de l’évolution étudiée.

Ici, nos réserves seront plus que des réserves de vocabulaire ; nous ne pouvons taire notre inquiétude à la vue de la méthode adoptée par l’auteur pour démontrer une thèse purement historique ; en Allemagne, peut-être supporte-t-on plus aisément le chevauchement de la philosophie sur l’histoire. Il semblera aux lecteurs français, il nous semble à nous tout le premier, que l’intervention d’un classement emprunté à la philosophie, et à une philosophie toute particulière, risque de jeter quelque ombre sur les résultats en obscurcissant les différents termes de la déduction.

Quel objet s’est proposé M. de Hartmann ? Faire ressortir, à la lumière des plus récents travaux de l’hiérographie, les progrès accomplis par l’humanité dans la conception de la divinité et des rapports qu’il convient d’entretenir avec elle. Mais comment faire saisir cette bienfaisante évolution, si l’on ne fait pas voir ses effets bien définis sur

  1. On voit que le terme de supranaturalisme n’est pas pris ici dans le sens où l’usage moderne l’emploie fréquemment, d’une intervention de la divinité dans le cours régulier des choses.