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comme on l’a prouvé cent fois, un art n’est jamais limitation pure et simple de la réalité.

Mais il ne s’ensuit pas de là que les arts n’aient rien de commun avec la réalité vivante. S’il en était ainsi, ils nous seraient inintelligibles et nous laisseraient indifférents. Ce seraient autant d’énigmes dont personne n’aurait la clef. Tous les arts, sans en excepter la musique, prennent la réalité non point pour modèle à copier servilement, mais pour type élémentaire à développer, à compléter, à parfaire. Pour la musique, le type élémentaire semble, nous l’avons dit, être la voix parlée de l’homme. Quelle est au juste à cet égard la pensée de M. Ch. Beauquier ?

À prendre son jugement au sens rigoureux des termes, le voici. Je copie mot à mot : « La musique est un art qui se conçoit très bien tout à fait en dehors de la voix humaine[1]. » — « Avons-nous besoin de le répéter : ce qui constitue l’art musical, c’est surtout la tonalité, la liaison, la dépendance des sons entre eux par rapport à un son fondamental, conditions qui ne se trouvent pas dans les sons d’une langue, lesquels, déformés par l’articulation, n’ont en eux-mêmes rien de musical[2]. » — « Tandis que la musique vocale reste simplement humaine, ne se comprend pas en dehors de l’homme qu’elle exprime dans sa vie sensible et intellectuelle, la musique instrumentale est extérieure à l’homme[3]. »

Pesons attentivement ces passages. Le premier affirme que l’art musical en général se comprend très bien tout à fait en dehors de la voix humaine. Le second passage nie que la voix parlée soit le type élémentaire de la musique vocale, parce que la voix parlée ne contient rien de musical. Enfin le troisième passage met la musique instrumentale en dehors de l’homme, tandis qu’il laisse à la musique vocale un caractère humain et montre sa racine dans l’homme même.

Devons-nous prendre ces jugements au pied de la lettre ? Oui, si les remarquables analyses de l’auteur les maintiennent intégralement ; non, si ces analyses les modifient ou même les infirment. J’ajourne à un autre travail ce qui touche la musique instrumentale, et je n’examine aujourd’hui que cette question : La musique vocale se conçoit-elle très bien tout à fait en dehors de la voix humaine parlée ? Celle-ci ne contient-elle rien de musical ? Je laisse M. Beauquier répondre lui-même.

Citons en premier lieu des pages d’une importance considérable sur la puissance expressive de la voix humaine.

  1. Page 102.
  2. Page 99.
  3. Page 56.