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elles sont ensuite devenues perceptibles (c’est-à-dire qu’elles ont été créées) de la manière et dans l’ordre que marque la Genèse, À mon avis, en effet, la création des choses n’a un sens que par rapport à des esprits finis, car il n’y a rien de nouveau aux yeux de Dieu. Il s’ensuit que la création consiste dans ce fait que Dieu a voulu rendre perceptibles à d’autres esprits des choses qu’il était jusqu’alors seul à connaître. Maintenant la raison et l’Écriture tout ensemble nous assurent qu’il y a d’autres esprits que les hommes, et il est possible que ces “esprits aient perçu ce monde visible à mesure qu’il était successivement dévoilé à leur vue avant la création de l’homme. En outre, pour nous accorder avec le récit de la création tel que le donne Moïse, il nous suffit d’admettre qu’un homme, dans le cas où il aurait été créé, où il aurait existé au temps du chaos des choses sensibles, aurait pu percevoir toutes les choses tirées de ce chaos dans l’ordre même que l’Écriture nous indique, et il n’y a rien là qui s’oppose à mes principes. »

Comme le fait remarquer M. Fraser, il n’y a pas une objection, telle que semblerait en fournir contre l’inmatérialisme le développement de la science moderne, qui ne soit prévenue dans cette réponse à la femme de John Percival.

Je ne suivrai pas l’auteur dans tout le détail de sa nouvelle étude sur la vie et les œuvres de Berkeley. On y trouvera les plus utiles rapprochements entre la doctrine de ce philosophe et celle de Descartes, de Locke, de Malebranche, de Spinoza, sans parler des théories des anciens. Grâce au mélange des faits biographiques et des considérations philosophiques, ce livre est à la fois des plus agréables à lire et des plus suggestifs.

Dans sa conclusion, M. Fraser fait remarquer que les trois grandes divisions auxquelles on peut, à son avis, ramener les divers systèmes de la philosophie contemporaine, procèdent toutes les trois de Berkeley et correspondent aux trois moments de son propre développement. Les positivistes modernes, dont D. Hume est le précurseur reconnu, s’inspirent en quelque manière des principes posés dans les premiers ouvrages du philosophe irlandais. Mais ils continuent, même avec M. Spencer, à poursuivre la plus haute-expression de symbolisme sensible, de la causation physique, sans s’inquiéter d’une causalité spirituelle et transcendante que Berkeley opposait si formellement à la causalité phénoménale. Quelques successeurs de Kant, les hégéliens, s’inspirent plutôt des doctrines de la Siris et prétendent à la connaissance de l’infini, à une science absolue. Entre les Positivistes ou Agnostiques, contents des « solutions sceptiques » de doutes sceptiques, et les Gnostiques, qui méconnaissent les limites de l’esprit humain, se placent à la suite de Th. Reid, Jouffroy, Royer Collard et Cousin, ceux qui, à la manière de Descartes, de Locke, de Kant et de Jacobi eux-mêmes, plus ou moins ouvertement, de Berkeley enfin, quand il écrivait l’Alciphron, reconnaissent l’existence d’une croyance humaine,