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ANALYSES. — P. DE BROGLIE. Le positivisme.

étage supérieur puisse se faire sans ébranler les étages inférieurs.

L’activité des causes secondes, soumise au même critérium de la vérification, doit d’abord être sacrifiée. Cette activité ne nous est connue que par induction, nous en sentons les effets ; mais nous ne la percevons pas en elle-même. L’activité est intime et dans le fond des êtres : nous n’observons et nous ne pouvons vérifier sensiblement que ce qui est extérieur.

Donc plus d’activité des causes secondes, sinon notre propre activité, qui, pour le moment, peut être conservée, puisque nous l’observons.

Mais, l’activité des causes secondes ayant disparu, la substance de ces causes subsistera-t-elle ? Nullement ; à quoi bon une substance sans activité ? Comment en constater et en vérifier l’existence ? Cette substance doit donc disparaître. Les positivistes anglais ont supprimé la matière, parce qu’il est impossible d’en vérifier l’existence.

Donc plus de corps réels, plus rien que nos sensations, nos états de conscience, et peut-être des notions extraites de nos sensations et formées par une activité psychique.

Ici peut-être pourrait-on s’arrêter. À la rigueur, il semble qu’on pourrait dire que la formation de nos sensations, celle de nos notions et l’exercice de notre activité sont des choses vérifiables.

Cependant la rigueur du principe oblige d’aller plus loin encore. Notre propre activité, est-ce bien par une vérification sensible que nous la connaissons ? N’est-ce pas par une évidence interne, profonde, réflexe, toute différente de la comparaison de deux sons ou de deux couleurs ? Si donc son existence est vérifiable, elle ne l’est pas sensiblement.

Rejetons donc encore notre propre activité, et par conséquent notre substance.

Il ne nous reste que des états de conscience, des séries de sensations dont nous pouvons saisir et vérifier sensiblement les lois.

Mais est-il bien vrai que nous le puissions d’une manière logique ? Avons-nous réellement appliqué jusqu’au bout le grand critérium : Rien n’est vrai que ce qui peut être sensiblement vérifié ?

Nullement. Il nous reste encore trois choses à détruire : la mémoire, qui conserve nos sensations ; le principe d’induction, qui les associe, et enfin les sensations elles-mêmes.

La mémoire d’abord, de quel droit subsisterait-elle ? Qui a jamais pu vérifier l’exactitude de la mémoire ? On peut comparer le témoignage de diverses personnes douées de mémoire ; mais cela ne prouve qu’une chose : c’est que ces mémoires sont faites de même. Quant à contrôler la mémoire elle-même par une comparaison directe avec les faits passés, qui ne sait que cela est rigoureusement impossible ? Comment se reporter dans le passé, pour s’assurer si la mémoire ne nous a pas trompés ?

Ainsi, logiquement, les faits passés perdent toute certitude, puis-