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NOLEN. — le monisme en allemagne

tante avec le pessimisme et les interventions surnaturelles, que Dühring reproche si durement à Hartmann. L’opposition de Noiré contre ce dernier, sans revêtir, comme celle de Dühring, les formes discourtoises de personnalités violentes, ne sait pas davantage se montrer équitable et modérée.

Comme Hartmann, Noiré crut concilier les grandes vues des métaphysiciens du passé avec les enseignements nouveaux de la science. Il s’adresse tour à tour à Schopenhauer, à Leibniz, à Kant ; mais il proscrit sans ménagement Hegel et Schelling. Il ne distingue plus d’ailleurs, comme Hartrnann, entre la certitude scientifique et l’induction métaphysique. Chez lui comme chez Dühring, la science et la spéculation parlent désormais le même langage, enseignent les mêmes vérités. Ces vérités ne sont pas seulement celles du mécanisme, mais aussi, mais surtout celles de la théorie évolutioniste. Et, si Meyer est l’un des prophètes du dogme scientifique, Darwin en est certainement le messie, le révélateur.

Schopenhauer ne paraît à Noiré le plus grand des philosophes que parce qu’il a le mieux compris le prix de la doctrine évolutioniste et salué en Lamarck son premier interprète. Sans doute, Noiré ne reste pas longtemps fidèle à cette prédilection déclarée de son grand ouvrage La pensée monistique, 1875 ; et le Fondement d’une philosophie conforme à l’esprit du temps, 1877, en adoptant l’épigraphe « Von Kant zu Kant », indique à tout le moins que Kant et Schopenhauer dominent tour à tour le cœur et l’admiration de leur disciple incertain. Quoi qu’il en soit de ces mobiles préférences, Noiré ne voit aucune difficulté à placer sous le patronage de Leibniz, de Kant et de Schopenhauer le monisme résolument évolutioniste qu’il enseigne.

Après que Descartes et Spinoza eurent définitivement triomphé de la finalité transcendante que l’ancienne physique opposait aux investigations de la science, il fallait reconnaître au sens de la nature la vérité de la téléologie immanente et la rétablir dans ses droits. Ce fut la tâche glorieusement accomplie par Leibniz. Grâce à lui, il fut démontré que dans la nature les causes efficientes et les causes finales agissent partout de concert, sans que leurs domaines respectifs et leurs lois différentes puissent jamais se confondre, mais en même temps sans que cette indépendance relative empêche au fond leur absolue et essentielle subordination.

Mais Leibniz, comme les autres cartésiens, n’avait fait la guerre qu’à la téléologie physique de l’ancien dogmatisme ; il restait attaché à la finalité transcendante de la théologie traditionnelle ; il partageait sa foi inébranlable aux vérités éternelles de l’entendement inné, son