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B. PEREZ. — facultés de l’enfant

avancée pour certaines parties de l’humanité ; nous-mêmes, à la lumière, confondons très facilement le bleu et le vert. M. G. Allen, au nom de l’évolution, a entrepris la réfutation de cette théorie de l’évolution historique ; mais il reste toujours la question anté-historique : et la formation de l’organe visuel humain, tel qu’il existe aujourd’hui, et le développement du sens de la couleur ne peuvent s’expliquer que par une transmission héréditaire[1]. Nos plus immédiats ancêtres de l’âge préhistorique voyaient-ils les mêmes couleurs que nous ? L’enfant les voit-il donc comme nous ? Certains faits de l’ordre pathologique, donnant lieu à ce qu’on appelle les illusions de la vue, et en particulier le daltonisme, qui est si fréquent chez les adultes, pourraient donner lieu à supposer, vu la formation incomplète de l’appareil visuel et des centres optiques dans le nouveau-né, que l’enfant ne voit pas toutes les couleurs de prime abord, que le sens de certaines couleurs lui fait peut-être défaut, que ces lacunes sont variables suivant les individus, et dans chaque individu suivant les états physiologiques des organes, suivant les jours, les heures. Mais quelle donnée avons-nous pour établir cette hypothèse ? Je crois, d’ailleurs, que la valeur de la distinction chromatique importe peu à la question qui nous occupe : la non-distinction d’une couleur n’implique pas nécessairement la non-perception de la lumière, et c’est par ses dégradations, par le plus ou moins d’intensité des perceptions de ce genre, que l’enfant débute.

Il est probable que le champ de vision ne s’ouvre pour lui que graduellement, et qu’il n’en saisit les diverses parties que selon qu’elles lui présentent une lumière plus ou moins intense. On se ferait une fausse idée de ses premières perceptions, si on l’assimilait à l’aveugle de Cheselden, qui ne percevait des différents objets placés devant ses yeux que comme un amas de couleurs répandues sur une surface plane. La vision binoculaire, dès qu’elle s’exerce avec l’accommodation régulière, produit la perception de l’étendue colorée, à deux dimensions, et ébauche l’idée de la troisième dimension. Les mouvements des objets rapprochés de l’enfant, qu’il touche et voit tout à la fois, font progresser assez lentement cette perception jusqu’à l’âge d’un mois et demi. Mais, vers l’âge de deux mois, commencent les progrès sérieux. D’abord l’enfant accorde un peu plus d’attention aux impressions qui le sollicitent. Ses fonctions tactiles et surtout musculaires, appuyées sur des centres plus développés,

  1. Voir l’intéressant article de M. Espinas Sur le sens de la couleur, dans la Revue philosophique, no  1, 1880.