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H. SPENCER. — DE L’INTÉGRATION POLITIQUE

tat fatal l’infécondité. Il n’est pas improbable que l’infécondité, habituellement observée dans les races sauvages initiées aux habitudes civilisées, provienne de ce que leur physique est soumis à plus d’efforts que leur constitution n’en peut supporter.

Lorsque nous avons traité de « l’homme primitif-émotionnel », nous avons indiqué les caractères moraux qui favorisent et ceux qui empêchent l’union des hommes en groupes considérables[1]. Nous allons fournir de nouveaux exemples de ceux qui se rapportent à l’aptitude ou à l’inaptitude du type à la subordination. « Les Abors, de leur propre aveu, ressemblent au tigre : ils ne peuvent demeurer plusieurs dans une même caverne, » dit M. Dalton, et « leurs maisons sont éparpillées, séparément ou par groupes de deux ou trois. » Par contre, il est des races africaines qui ne se bornent pas à céder à la contrainte, mais qui admirent celui qui les contraint. Tels sont les Damaras, qui, selon Dalton, « recherchent l’esclavage », et « suivent un maître comme le ferait un épagneul. » On raconte la même chose d’autres peuplades du sud de l’Afrique. Dans l’une d’elles, il arriva à un naturel de dire à un voyageur que je connais : « Vous êtes un drôle de maître. J’ai passé deux ans avec vous, et vous ne m’avez pas battu une seule fois. » Évidemment, les dispositions que nous opposons dans ce contraste frappant sont des causes qui sont pour beaucoup dans l’impossibilité ou la possibilité de l’intégration politique. Une autre condition, très puissante, est la présence ou l’absence de l’instinct nomade. Les races chez lesquelles les habitudes nomades n’ont point rencontré d’obstacle durant d’innombrables générations de chasseurs et de pasteurs montrent, même lorsqu’elles sont contraintes d’adopter la vie agricole, une disposition au déplacement qui oppose un obstacle considérable à l’agrégation. Il en est ainsi des tribus montagnardes de l’Inde. « Les Koukis sont naturellement une race nomade qui n’occupe jamais le même lieu plus de deux ou trois mois, au maximum. » Tels sont aussi les Michmis, qui « ne donnent jamais de nom à leurs villages » : l’existence de ces villages est en effet trop courte. Chez d’autres races cet instinct nomade survit et révèle ses effets même après la formation de villes populeuses. Burchell, qui visita les Bachassins en 1812, raconte que Litakum, ville de quinze mille habitants, avait été deux fois abandonnée dans l’espace de vingt ans. Il est évident que des peuples si peu attachés aux localités où ils sont nés s’unissent moins facilement pour former de grandes sociétés que ceux qui aiment leurs anciennes demeures.

  1. Principes de sociologie, partie I, ch. vi.