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E. NAVILLE. — CONSÉQUENCES DE LA PHYSIQUE

Si la matière de la nébuleuse n’est pas supposée éternelle, d’où vient-elle ? Est-ce le néant qui se sera transformé en être ? L’admettre, ce serait admettre la contradiction proprement dite, puisque le néant n’est pas moins la négation de l’être virtuel que de l’être actuel. Admettre la contradiction proprement dite, quoi que Hegel en ait pu dire, c’est ruiner la pensée dans ses fondements. Si l’on rapporte l’origine du monde à la manifestation d’une puissance par soi, qui soit conçue comme une puissance libre et créatrice, la nature de ce pouvoir et le mode de son action offrent sans doute à la pensée de grandes difficultés ; mais on aura du moins le moyen de comprendre pour la matière et son mouvement l’existence d’un point de départ qui donnera une base à l’évolution. Si l’on veut aborder la question, on ne peut choisir qu’entre la contradiction proprement dite et les difficultés inhérentes à la doctrine de la création. Il est permis, assurément, de ne pas se décider. On peut récuser la compétence de l’esprit humain en de pareilles matières, et personne n’est obligé de faire de la philosophie. Il faut éviter seulement de résoudre implicitement les questions en disant qu’on ne les aborde pas. Si l’on veut se décider, le choix ne saurait être douteux entre une conception difficile et la contradiction.

Auguste de La Rive a abordé ce sujet, en terminant une de ses leçons de physique à l’Athénée de Genève. Il venait de rappeler que tout développement exclut l’idée de l’éternité et suppose un commencement il ajouta : « Que ce commencement ait eu lieu il y a des milliers ou des millions de siècles, peu importe ; ce n’est pas l’éternité. Or le mouvement n’a pu naître spontanément ; il a fallu une cause extérieure pour l’engendrer, une cause ayant volonté et intelligence. D’où je conclus nécessairement à l’existence d’un Être suprême et personnel[1]. » Je n’affirmerai pas que les conclusions de ce physicien soient celtes de la physique. On ne peut pas conclure directement des résultats de la science de la matière à la pleine affirmation du théisme ; mais voici un raisonnement qui me semble solide : Le mouvement qui a produit le monde actuel ne peut pas être éternel ; il réclame donc un antécédent en vertu du principe de causalité. Cet antécédent doit être conçu comme étranger au mouvement, par la position même de la question. Il faut donc, pour employer les termes d’Aristote, que le premier moteur soit lui-même immobile. Cette condition est remplie par l’idée d’un esprit éternel et créateur.

La doctrine de l’évolution et la doctrine de la création ne peuvent

  1. Chronique génevoise du 11 janvier 1868.