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1re livraison.

Paulsen : Que peut être Kant pour nous ? (Was uns Kant sein kann ?) Étude à l’occasion du centenaire, de la Critique de la raison pure.

Paulsen, après avoir exposé les raisons qui ont fait successivement passer le sceptre de la philosophie allemande des mains de Wolff dans celtes de Kant, puis de Hegel, caractérise brièvement l’état des esprits à l’époque présente ; et, frappé de la faveur que témoignent a la philosophie critique la plupart des penseurs contemporains, il se demande à quelle condition la doctrine de Kant peut être la philosophie de l’avenir. La distinction fondamentale qu’elle établit entre l’idéal et le réel, entre la foi pratique qui croit à l’un et l’entendement théorique qui explique l’autre, ou encore entre la conscience et la science ; la loi impérieuse qu’elle impose à la science de s’attacher exclusivement à la détermination des rapports nécessaires qui enchaînent les phénomènes dans l’espace et le temps, et l’impuissance radicale qu’elle soutient des arguments théoriques par lesquels on a essayé sans relâche de démontrer que le monde obéit à une fin et que cette fin est une fin morale : toutes ces vérités sont, selon Paulsen, autant de conquêtes définitives, dont la raison humaine est redevable à Kant et auxquelles il ne parait plus possible de la faire renoncer. Mais, si le domaine de l’idéal demeure pour jamais fermé à la science, l’accès en est-il interdit à la foi morale, et l’athéisme, dans le sens fichtien d’une négation de l’ordre moral des choses, est-il la conséquence nécessaire des principes posés ? Kant soutenait énergiquement le contraire ; et, s’il n’a pas cru devoir exposer d’une manière systématique les hypothèses spéculatives vers lesquelles l’inclinait sa foi pratique, il n’est pas interdit de rechercher quelle métaphysique s’accommode le mieux à l’esprit de la philosophie critique et aux besoins de la pensée contemporaine.

Paulsen n’hésite pas, dans cette voie, à se prononcer pour certaines conceptions du monisme contemporain, comme celles de Lotze et même de Fechner, et à voir en elles le complément nécessaire et légitime de la philosophie critique. À la lumière de ces profonds enseignements, les postulats chers à la conscience morale de Kant, la liberté, l’immortalité, Dieu, peuvent être interprétés dans le sens d’une sorte de panthéisme spiritualiste, qui satisfait notre besoin d’idéal sans contrarier les exigences de la méthode scientifique. Sans doute il faudra renoncer à parler de la liberté comme d’un principe absolu d’action capable d’interrompre le déterminisme des phénomènes, de l’immortalité comme d’une prolongation de la vie individuelle après la mort, de Dieu comme d’une providence chargée d’assurer la félicité des bons dans cette autre vie imaginaire. L’initiative absolue de l’action n’appartient qu’au Tout ou, sous un autre nom, qu’à Dieu ; l’individu n’est immortel qu’en tant que ses actes sont appréciés dans leur rapport avec la vie éternelle de la nature ; Dieu enfin n’est que le monde envisagé