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infériorité. Comme un organe dont on soupçonne à peine le jeu dans le bien-être de la santé, mais qui, lorsqu’il est blessé, fait sentir douloureusement ses moindres mouvements, ainsi, sous les froissements et sous les meurtrissures, l’amour-propre s’exaspère jusqu’à une monstrueuse susceptibilité.

L’amour-propre ne produit donc pas toujours l’opinion avantageuse de soi-même. Il se manifeste souvent avec une extrême intensité par la douleur qui résulte de l’absence de cette opinion avantageuse. La produisît-il d’ailleurs toujours, je l’ai dit, on ne saurait l’identifier avec elle. L’amour, en effet, est un sentiment, et un sentiment n’est pas la même chose qu’une opinion.

Qu’est-ce donc que l’amour-propre ? En disant ce qu’il n’est pas, nous avons indiqué déjà ce qu’il est. Il est notre sensibilité à l’endroit des opinions sur la valeur de notre personne. L’homme qui a le plus d’amour-propre est celui chez lequel les jugements relatifs à la valeur de sa personne provoquent les plaisirs et les douleurs les plus intenses. Or notre valeur peut être jugée soit par nous-mêmes, soit par les autres. De là les deux espèces fondamentales de l’amour-propre l’orgueil et la vanité. Je propose de les définir ainsi : L’orgueil, c’est le plaisir que nous cause notre admiration de nous-mêmes, et la souffrance que nous éprouvons quand il ne nous est pas possible de nous admirer. Par suite, l’orgueil est le désir de pouvoir nous admirer. La vanité, c’est le plaisir que nous cause l’admiration que les autres ont pour nous, et la souffrance que nous éprouvons quand les autres ne nous admirent pas. Par suite, la vanité, c’est le désir d’être admiré par autrui.

Quand on cherche à comprendre ces deux sentiments, on voit bien vite qu’ils offrent à la pensée des difficultés inégales et que celui qui s’explique le moins aisément, c’est la vanité. On peut trouver tout naturel que notre opinion au sujet de nous-mêmes nous cause beaucoup de plaisir ou beaucoup de souffrance. Chacun de nous n’est-il pas pour lui-même le compagnon le plus habituel, le seul dont il soit impossible de se défaire ? Son jugement nous suit partout et toujours, et ce jugement enfin doit avoir de l’importance pour nous, puisqu’il est nôtre. Mais il paraît beaucoup moins naturel que l’opinion des autres hommes ait tant d’influence sur notre bonheur. L’opinion des autres est en eux et n’est pas en nous elle nous est extérieure, étrangère. Pourquoi nous cause-t-elle tant de plaisir ou tant de souffrance ? Encore s’il ne s’agissait que de l’opinion des personnes avec lesquelles nous vivons, qui appartiennent à notre cercle intime et font en quelque sorte partie de nous-mêmes. Mais